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Section 3.2 Le produit d'Augustin

On va voir qu'il y a un lien entre la série de Grandi et la somme alternée des entiers, via le produit de Cauchy.

Le produit de Cauchy, c'est ce qui permet de multiplier deux sommes/séries entre elles. Le produit de deux sommes, reconnaissons-le, c'est un peu lourd:

\begin{align*} \boxed{n=m=1}\quad \amp (a_0+a_1)(b_0+b_1)=a_0b_0+a_0b_1+a_1b_0+a_1b_1\\ \boxed{n=1,m=2}\quad \amp (a_0+a_1)(b_0+b_1+b_2)=a_0b_0+a_0b_1+a_0b_2+a_1b_0+a_1b_1+a_1b_2\\ \boxed{n=m=2}\quad \amp (a_0+a_1+a_2)(b_0+b_1+b_2)=a_0b_0+a_0b_1+a_0b_2+a_1b_0+a_1b_1+a_1b_2+a_2b_0+a_2b_1+a_2b_2\\ \boxed{n=2,m=3}\quad \amp (a_0+a_1+a_2)(b_0+b_1+b_2+b_3)=a_0b_0+a_0b_1+a_0b_2+a_0b_3+a_1b_0+a_1b_1+a_1b_2+a_1b_3\\ \amp+ a_2b_0+a_2b_1+a_2b_2+a_2b_3\\ \boxed{n=3}\quad \amp (a_0+a_1+a_2+a_3)(b_0+b_1+b_2+b_3)=a_0b_0+a_0b_1+a_0b_2+a_0b_3+a_1b_0+a_1b_1+a_1b_2+a_1b_3\\ \amp+a_2b_0+a_2b_1+a_2b_2+a_3b_3+a_3b_0+a_3b_1+a_3b_2+a_3b_3\\ \vdots\\ \boxed{n=14,m=28}...\amp\text{ non, sûrement pas, non.} \end{align*}

Ce qu'on observe en fait, c'est que dans le produit de deux sommes \(\sum_{i=0}^m a_i\) et \(\sum_{j=0}^n b_j\text{,}\) tous les termes \(a_ib_j\) pour \(i=0...m,j=0,...,n\) apparaissent: tous les \(a_0b_{truc}\text{,}\) puis tous les \(a_1 b_{machin}\text{,....}\)

\begin{equation*} (\sum_{i=0}^m a_i)(\sum_{j=0}^n b_j)=\sum_{i=0}^m\sum_{j=0}^n a_ib_j =\sum_{\substack{0\leq i\leq m\\0\leq j\leq n}}a_i b_j \end{equation*}

ce qu'on peut aussi écrire

\begin{equation*} \sum_{i=0}^m p_i,\text{ avec } p_i=\left(\sum_{j=0}^m b_j\right)a_i \end{equation*}

Mais dans certains cas  1 , cette approche,qui laise les \(a_i\) et les \(b_j\) séparés, n'est pas très satisfaisante.

Supposons par exemple que \(a_i=b_i=\alpha^i\text{.}\) Alors, si on fait comme ça,

\begin{align*} \left(\sum_{i=0}^2 a_i\right)\left(\sum_{j=0}^3 b_j\right) \amp= (\alpha^0 + \alpha^1 + \alpha ^2)(\alpha^0+ \alpha^1 + \alpha ^2+\alpha^3)\\ \amp=\alpha^0\alpha^0+\alpha^0\alpha^1+\alpha^0\alpha^2+\alpha^0\alpha^3+\alpha^1\alpha^0+\alpha^1\alpha^1+\alpha^1\alpha^2+\alpha^1\alpha^3\\ \amp+ \alpha^2\alpha^0+\alpha^2\alpha^1+\alpha^2\alpha^2+\alpha^2\alpha^3 \end{align*}

\(\leadsto\)Dans ce cas, il y a clairement une étape naturelle ensuite: utiliser \(\alpha^i\alpha^j = \alpha^{i+j}\text{.}\)

\begin{align*} \amp= \alpha^0 +\alpha^1 + \alpha^2 + \alpha^3 + \alpha^1 + \alpha^2 + \alpha^3+\alpha^4+\alpha^2 + \alpha^3 + \alpha^4+\alpha^5\\ \amp= \alpha^0 +2\alpha^1 + 3\alpha^2 + 3\alpha^3 + 2\alpha^4+\alpha^5 \end{align*}

Dans le cas de suites géométriques  2 , on a donc plutôt envie de regrouper les termes \(a_ib_j\) selon la valeur de \(i+j\text{.}\) Et en fait, cette approche est plus naturelle dans tous les cas du type \(a_i= u_i \alpha^i,b_j=v_j\alpha^j\text{.}\)

Pour des sommes finies, tout ceci n'est pas follement intéressant. Après tout, on peut réunir les termes comme on le souhaite, donc on peut voir au cas par cas ce qui est le plus naturel. Mais pour des sommes infinies, où se posent des questions de convergence, et où réunir les termes dans un ordre plutôt qu'un autre peut tout changer 3 , il est important de faire un choix.

Augustin Louis, comme beaucoup d'autres, s'intéressait beaucoup aux cas particuliers du type \(a_i= u_i \alpha^i,b_j=v_j\alpha^j\) (on en reparlera !) et c'est son produit qu'on utilise maintenant le plus souvent:

Définition 3.2.2.

Soient \(\sum a_n\text{,}\) \(\sum b_n\) deux séries de terme général respectifs \((a_n)_n\) et \((b_n)_n\text{.}\) Leur produit de Cauchy est la série de terme général \(p_n\text{,}\) avec

\begin{equation*} p_n=a_0b_n+a_1b_{n-1}+...+a_{n-1}b_1+a_nb_0=\sum_{k=0}^n a_kb_{n-k}=\sum_{k=0}^n a_{n-k}b_k \end{equation*}

(Pour chaque \(n\text{,}\) \(p_n\) est la somme de tous les termes \(a_ib_j\) tels que \(i+j=n\)).

 5 

Et c'est là qu'on retrouve notre série de Grandi.

Posons \(a_n = (-1)^n\text{.}\) Quel est le terme général du produit de Cauchy de la série \(\sum a_n\) avec elle-même ?

De là, on a

Et même un peu mieux, grâce à Franciszek Mertens (disons Franz, pour les intimes: ce fut le prof d'Analyse et d'Algèbre d'un nommé Erwin Schrödinger):

C'est encourageant, car on a trouvé que

\begin{equation*} \sum_{n=0}^\infty (-1)^n = \frac12 \quad [\mathcal C, 1] \end{equation*}

et que la série \(\sum (-1)^{n+1}n\) était le "carré de Cauchy" de \(\sum_{n=0}^\infty (-1)^n\text{,}\) et ce qu'on aimerait conclure, c'est justement que

\begin{equation*} \sum (-1)^{n+1}n = \left(\sum_{n\geq 0} (-1)^n\right)^2 =\frac14 \end{equation*}

Malheureusement, les théorèmes qu'on a ne nous permettent pas de conclure: la série de Grandi ne converge pas absolument, ni au sens traditionnel, ni même au sens de Cesàro:

\begin{align*} Ab_n\amp=\sum_{k=0}^n |(-1)^k|=n+1 \rightarrow \infty\\ \frac{Ab_1+Ab_2+...+Ab_n}n \amp= \frac{2+3+...+(n+1)}n\\ \amp= \frac1n\left(\frac{(n+1)(n+2)}2-1\right)=n+3n\rightarrow \infty \end{align*}

Et le produit de Cauchy ne tolère pas bien la convergence pas absolue:

Exercice 3.2.1. Un édifiant contre-exemple.

(a)

On considère la série de terme général

\begin{equation*} u_n= \frac{(-1)^n}{\sqrt{n+1}} \end{equation*}

Montrer que la série de terme général \((u_n)_n\) converge.

(b)

Calculer le produit de Cauchy \((p_n)_n\) de la série de terme général \((u_n)_n\) avec elle même.

(c)

Montrer que, pour tout \(n\geq 1\text{,}\)

\begin{equation*} |p_n|\geq1 \end{equation*}

La série \(\sum p_n\) est-elle convergente ?

Indice.

Pour \(k=0,...,n\text{,}\) par quoi peut on majorer

\begin{equation*} \sqrt{k+1} \text{ et } \sqrt{n-k+1} ? \end{equation*}

Et de là, par quoi peut-on minorer \(p_n\) ?

Spoiler.

 6 

et on verra un peu plus bas que ce sont précisément les cas qui ont le plus d'applications fructueuses
comme, par exemple, au hasard, \((-1)^n\)
carolinevernier.website/conv_commutative/conv_commutative.html
commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=7059486

Ce n'est pas la seule façon de faire ! Il y a aussi un produit qui réunit les termes selon la valeur de \(ij\) plutôt que \(i+j\text{:}\)

\begin{equation*} p_n=\sum_{ij = n} a_ib_j = \sum_{d|n}a_d b_{\frac nd} \end{equation*}

Cette façon de faire est, elle, plus pratique pour les séries du genre

\begin{equation*} a_n=\frac{ u_n}{n^\alpha},\ b_n=\frac{ v_n}{n^\beta} \end{equation*}

dont on sera aussi amenés à reparler !

Ce mauvais comportement des séries semi-convergentes ne surprendront peut-être pas ceux qui ont entendu parler théorème de réarrangement des séries 7 : le produit de Cauchy consiste à choisir un ordre particulier dans lequel sommer les termes \(a_ib_j\) du produit des sommes partielles. Et ça, ça a tendance à marcher pour les séries absolument convergente, mais à être moins innocent qu'il n'y paraît pour les séries semi-convergentes !

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