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Section 3.1 Sommation d'Ernesto

Pour partir à la pêche aux idées, prenons une série qu'on aimerait faire converger, et voyons ce qui l'en empêche. Par exemple, la série de Grandi

\begin{equation*} A=1-1+1+...=\sum(-1)^n \end{equation*}

\(\leadsto\) Calculons les sommes partielles de la série de terme général \(a_n=(-1)^n\text{.}\)

\begin{align*} A_0\amp=(-1)^0 = 1,\\ A_1\amp=(-1)^0+(-1)^1 = 0\\ A_2\amp=(-1)^0+(-1)^1+(-1)^2=1...\\ A_3\amp=(-1)^0+(-1)^1+(-1)^2+(-1)^3=0... \end{align*}

Et plus généralement, pour tout \(n\in\N\text{,}\)

\begin{equation*} A_n= \begin{cases} 1 \text{ si } n \text { est pair;}\\ 0 \text{ si } n \text { est impair} \end{cases} \end{equation*}

\(\leadsto\) La suite des sommes partielles \((A_n)_n\) ne converge pas parce qu'elle oscille entre deux valeurs.

Mais on a envie de dire que, "en moyenne", ça fait \(\frac 12\text{.}\)

Voilà, c'est ça l'idée. On va regarder, non pas les sommes partielles \((A_n)_n\text{,}\) mais les moyennes des \((A_n)_n\text{.}\) On pose:

\begin{equation*} c_1=A_1,\ \ c_2=\frac{A_1+A_2}2,\ c_3=\frac{A_1+A_2+A_3}3.... \end{equation*}

et de manière générale, pour tout \(n\in \N\)

\begin{equation*} c_n=\frac1{n}(A_1+...+A_n) \end{equation*}

Alors, si on les calcule, on trouve

\begin{align*} c_1\amp=S_1 = 0,\\ c_2\amp=\frac{0+1}2=\frac12\\ c_3\amp=\frac{0+1+0}3=\frac13\\ c_4\amp=\frac{0+1+0+1}4=\frac12\\ c_5\amp=\frac{0+1+0+1+0}5=\frac25 \end{align*}

et plus généralement, pour tout \(n\geq 1\text{,}\)

\begin{equation*} c_n=\frac1n\sum_{k=1}^n S_n = \begin{cases} \frac1n \cdot \frac n2 = \frac12 \amp\text{ si }n \text{ est pair}\\ \frac1n \cdot \frac {n-1}2 = \frac12-\frac1{2n} \amp\text{ si }n \text{ est impair} \end{cases} \end{equation*}

\(\leadsto\) La suite \((c_n)_n\) des moyennes de \(S_n\) converge vers \(\frac 12\text{.}\)

Ca semble prometteur ! Et c'est aussi ce que Ernesto s'est dit.

Définition 3.1.2.

Soit \((S_n)_n\in\R^\N\) une suite de réels 4 . La suite des moyennes de Cesàro de \((S_n)_n\) est la suite \((c_n)_n\) définie par

\begin{equation*} c_n = \frac{S_1+...+S_n}n=\frac1n \sum_{k=1}^n S_k \end{equation*}

On va noter \((\mathcal C, 1)\) la méthode de sommation associée:

Si \(S_n=\sum_{k=0}^na_k\) est la suite des sommes partielles d'une série, et si la suite des moyennes de Cesàro de \((S_n)_n\) converge vers un \(S\in\R\text{,}\) on dira que la série de terme général \((a_n)_n\) Cesàro-converge, ou \((\mathcal C,1)\)-converge pour aller plus vite.

Pour résumer:

\begin{equation*} \sum_{k=0}^\infty a_k = S \quad [\mathcal C,1] \iff \frac{S_1+...+S_n}n \rightarrow S \end{equation*}

Vérifions que cette méthode de sommation a les propriétés qu'on souhaite.

Exercice 3.1.1. \((\mathcal C,1)\) respecte la DDS.

(a)

Montrer que \((\mathcal C,1)\) vérifie les deux propriétés de linéarité:

  • Si \(\sum_{n=0}^\infty a_n =S\ [\mathcal C,1]\text{,}\) alors pour tout \(\lambda\in\R\text{,}\) \(\sum_{n=0}^\infty \lambda a_n = \lambda S\ [\mathcal C,1]\)

  • Si

    \begin{equation*} \sum_{n=0}^\infty a_n =S\ [\mathcal C,1] \text{ et } \sum_{n=0}^\infty b_n =T\ [\mathcal C,1]\text{,} \end{equation*}

    alors

    \begin{equation*} \sum_{n=0}^\infty (a_n+b_n) =S+T\ [\mathcal C,1]\text{.} \end{equation*}

(b)

Montrer que \((\mathcal C,1)\) est stable: autrement dit que

si \(\sum_{n=0}^\infty a_n =S\ [\mathcal C,1]\) alors \(\sum_{n=1}^\infty a_n =S-a_0\ [\mathcal C,1]\)

Indice.

Poser, pour tout \(n\in\N\text{,}\) \(b_n=a_{n+1}\text{.}\) Ca nous fait une suite \((b_0,b_1,b_2,....)=(a_1,a_2,a_3,....)\)

\(\leadsto\) Il s'agit donc de montrer que, si la série de t.g. \((a_n)_n\) \((\mathcal C,1)\)-converge et a pour \((\mathcal C,1)\)-somme \(S\text{,}\) alors la série de t.g. \((b_n)_n\) \((\mathcal C,1)\)-converge et a pour \((\mathcal C,1)\)-somme \(S-a_0\text{.}\)

On va appeler \(\widetilde S_n=b_0+...+b_n\) les sommes partielles associées à \((b_n)_n\text{.}\) On pourrait exprimer les \(\widetilde S_n\) en fonction des \(S_n\text{,}\) et de là, exprimer \(\frac{\widetilde S_1+...+\widetilde S_n}n\) en fonction de \(\frac{S_1+...+S_n}n\) et \(a_0\text{,}\) et vérifier que ça tend bien vers \(S-a_0\text{.}\)

Spoiler.

(c)

Il nous reste à montrer que \((\mathcal C,1)\) est régulière: autrement dit, que si la série de terme général \((a_n)_n\) tradi-converge:

\begin{equation*} S_n=\sum_{k=0}^n \xrightarrow[n\rightarrow \infty]{} S \end{equation*}

alors elle Cesàro-converge vers le même \(S\text{:}\)

\begin{equation*} c_n=\frac{S_1+...+S_n}n \xrightarrow[n\rightarrow \infty]{} S \end{equation*}

On va commencer par le vérifier avec une série convergente qu'on connaît déjà: \(\sum \frac1{2^n}\text{.}\)

Calculer, pour tout \(n\in \N\text{,}\) \(S_n= \sum_{k=0}^n \frac 1 {2^k}\text{.}\)

\(\leadsto\) Et donc, quelle est la tradi-somme de la série de terme général \(\left(\frac1{2^n}\right)_n\) ?

(d)

Toujours pour la série de terme général \(\left(\frac1{2^n}\right)_n\text{,}\) calculer les moyennes de Cesàro

\begin{equation*} c_n= \frac1n (S_1+...+S_n) \end{equation*}

En déduire que cette série Cesàro-converge vers sa tradi-somme.

(e)

Maintenant qu'on s'est échauffés, passons au cas général. Soit \((a_n)_n\) une suite telle que \(\sum a_n\) tradi-converge:

\begin{equation*} S_n=\sum_{k=0}^n \xrightarrow[n\rightarrow \infty]{} S \end{equation*}

Il s'agit de montrer que:

\begin{equation*} c_n=\frac{S_1+...+S_n}n \xrightarrow[n\rightarrow \infty]{} S \end{equation*}

Soit \(\varepsilon \gt 0\text{,}\) montrer que, dans ce cas, qu'il existe un entier \(n_0\in\N\) et une constante \(C\) (indépendante de \(n\)) tels que, si \(n\geq n_0\)

\begin{equation*} |S_1+...+S_n-nS| \lt C+\frac{n}2\varepsilon \end{equation*}
Indice.

Puisqu'on a supposé que \(S_n\rightarrow S\text{,}\) il existe un rang \(n_0\) tel que, si \(n\geq n_0\text{,}\) pour tout \(k=n_0,...,n\text{,}\) \(|S_k-S|\lt \frac{\varepsilon}2\)

Du coup, si \(n\geq n_0\text{,}\) par quoi peut-on majorer

\begin{equation*} |S_1+...+S_{n_0-1}+S_{n_0}...+S_n -nS| ? \end{equation*}
Spoiler.

(f)

En déduire qu'il existe \(N\in \N\) tel que, pour tout \(n\geq N\text{,}\)

\begin{equation*} |c_n-S| \lt \varepsilon \end{equation*}

et conclure.

Indice.
Quand \(C\) ne dépend pas de \(n\text{,}\) au bout d'un moment, \(\frac Cn\text{,}\) c'est petit. Très petit. Aussi petit qu'on veut.
Spoiler.

(g)

On a vu que les moyennes de Cesàro permettaient de se débarasser des oscillations de la série de Grandi, ce qui la fait \((\mathcal C,1)\)-converger.

En fait, c'est vrai en général:

Supposons que \((u_n)_n\) est une suite réelle telle que

\begin{equation*} \begin{cases} u_{2n}\xrightarrow[n\rightarrow \infty]{} \ell_0\\ u_{2n+1}\xrightarrow[n\rightarrow \infty]{} \ell_1 \end{cases},\quad \ell_0\neq \ell_1 \end{equation*}

Montrer que dans ce cas, \((u_n)_n\) ne converge pas.

Bonus: Et si \(\ell_0=\ell_1\text{.}\)

(h)

Montrer que par contre

\begin{equation*} \lim_{n\rightarrow \infty} \frac1n\sum_{k=1}^n u_k = \frac{\ell_0+\ell_1}2 \end{equation*}

Bonus: Et si \((u_n)_n\) a trois valeurs d'adhérence associées aux suites \((u_{3n})_n, (u_{3n+1})_n,(u_{3n+2})_n\) ?

Bonus 2: Et si \((u_{4n})_n\) converge vers \(\ell_0\text{,}\) tandis que les termes d'indices non divisibles par 4 tendent vers \(\ell_1\) ?

La méthode de sommation alla Cesàro remplit les termes du contrat !

Et on a déjà vu qu'elle permettait d'obtenir la première étape de notre calcul bancal de 1+2+3+...:

\begin{equation*} 1-1+1-1+...=\sum_{n=0}^\infty (-1)^n = \frac12 \quad [\mathcal C, 1] \end{equation*}

\(\leadsto\) Passons donc à la deuxième étape !

Il s'agit maintenant de rendre rigoureuse l'affirmation

\begin{equation*} 1-2+3-4+...=\sum_{k=1}^\infty (-1)^k k = \frac 14 \end{equation*}

Aurait-on, par chance,

\begin{equation*} 1-2+3-4+...=\sum_{k=1}^\infty (-1)^k k = \frac 14 \quad [(\mathcal C,1)] ? \end{equation*}

\(\leadsto\) Y a-t-il moyen de passer de la \((\mathcal C,1)\)- convergence de \(\sum(-1)^n\) à celle de \(\sum (-1)^n n \) ?

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Dans les cas qui vont nous intéresser, \((S_n)_n\) sera typiquement la suite de sommes partielles d'une série