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Section 5.4 Et donc, pour la somme des entiers ?

Malheureusement, les sommes de Cesàro ne vont toujours pas nous le donner, ce \(-\frac 1{12}\text{:}\)

Les méthodes de Cesàro sont totalement régulières: quel que soit \(p\in\N\text{,}\) si \((a_k)_k\) vérifie

\begin{equation*} \sum_{k=0}^n a_k \xrightarrow[n\rightarrow \infty]{}+\infty \end{equation*}

alors, pour tout \(p\in\N\text{,}\)

\begin{equation*} c_n^{(p)} \xrightarrow[n\rightarrow \infty]{}+\infty \end{equation*}
Indice.

Dans le résultat de régularité des sommes \((\mathcal C,p)\text{,}\) on a utilisé:

Soit \((\alpha_n)_n\) une suite de réels positifs tels que \(\sum_{k=0}^n \alpha_k \xrightarrow{n\rightarrow\infty} \infty\text{.}\) Alors, pour toute suite \((x_n)\text{,}\) si \(x_n\rightarrow\ell\) on a

\begin{equation*} \frac{\alpha_0x_0 + ...+\alpha_n x_n}{\alpha_0+...+\alpha_n} \rightarrow \ell \end{equation*}

Adapter la preuve qu'on a faite en s'inspirant de la preuve de la régularité totale de Hölder permet de montrer que c'est aussi vrai pour \(\ell=+\infty\text{.}\)

\(\leadsto\) Montrer ce résultat, puis conclure pour les sommations de Cesàro.

Spoiler.

En particulier, pour \(a_k=k\text{,}\) on a, quel que soit \(p\in\N\text{,}\)

\begin{equation*} \sum_{n=0}^{+\infty} n = + \infty \quad [\mathcal C,p] \end{equation*}

\(\leadsto\) Ce n'est pas Ernesto, même dans sa version évoluée, qui va nous trouver une bonne raison pour que ça fasse \(-\frac1{12}\text{.}\)

Pour faire marcher la somme des entiers, il va nous falloir une approche complètement différente, et c'est Abel, malgré tout son mépris pour les séries divergentes, qui va nous mettre sur la voie.

On ne va quand même pas laisser Otto et Ernesto sur une défaite ! On va voir qu'ils permettent en fait de sommer les sommes alternées \(1^p-2^p+3^p-4^p+....\text{,}\) quel que soit \(p\in \N\text{,}\) et dans la foulée, on va se diriger vers le type de somme qu'Abel va utiliser, les séries entières.

Exercice Somme alternée de coefficients binomiaux

On va montrer, dans la lignée de ce qu'on a déjà fait pour les sommes

\begin{equation*} 1-1+1-...=1^0-2^0+3^0-...,\ 1-2+3-... \text{ et } 1^2-2^2+3^2-... \end{equation*}

que, pour tout \(p\in \N\text{,}\) la somme

\begin{equation*} 1^p-2^p+3^p-...=\sum_{n\geq 0} (-1)^{n+1}n^p \end{equation*}

est \((\mathcal C, p+1)\)-convergente.

Pour ça, on va commencer par étudier une autre somme, plus...Cesàro-friendly:

\begin{equation*} \binom{p}{p} - \binom{p+1}{p}+\binom{p+2}{p}-\binom{p+3}{p}+...=\sum (-1)^{n}\binom{p+n}{p}. \end{equation*}

\(\leadsto\) Si, si, il y a un rapport !

1.

Montrer que, quand \(n\rightarrow \infty,\)
\begin{equation*} \binom{p+n}{p} \sim \frac{n^p}{p!} \end{equation*}

C'est-à-dire que

\begin{equation*} \frac{\binom{p+n}{p}}{\frac{n^p}{p!}} \xrightarrow[n\rightarrow\infty]{} 1 \end{equation*}

Notre prochain objectif va être de montrer que la série \(\sum (-1)^{n}\binom{p+n}{p}\) est \((\mathcal C, p+1)\)- convergente, et que

\begin{equation*} \sum_{n=0}^\infty (-1)^{n}\binom{p+n}{p} = \frac{1}{2^{p+1}} \quad [\mathcal C, p+1] \end{equation*}

La preuve qu'on va donner fait intervenir un type de raisonnement qui (spoiler !) sera essentiel pour enfin vaincre la somme les entiers dans les sections suivantes.

2.

Notons \(a_n=(-1)^{n}\binom{p+n}{n}\text{.}\) Justifier que si \(x\in ]-1,1[\text{,}\) la série de terme général \((a_n x^n)_n\) converge absolument 1 .

Bonus: Montrer que les suites \((-1)^n\) et \((-1)^{n+1} n\) vérifient aussi cette hypothèse, et que de plus,

\begin{equation*} \sum_{n\geq 0} (-1)^n x^n = \frac1{1+x}, \sum_{n\geq 0} (-1)^{n} (n+1) x^n = \frac{1}{(1+x)^2} \end{equation*}

Que se passe-t-il si on fait, dans l'illégalité la plus totale, \(x\rightarrow 1\) ?

Bonus 2: En utilisant l'estimation obtenue au Exercice 4.1.2 et l'équivalence Cesàro-Hölder, montrer que si une série \(\sum a_n\) est \((\mathcal C,p)\)-convergente, alors pour tout \(x\in ]-1,1[\text{,}\) \(\sum a_n x^n\) est absolument convergente.

Indice.
Utiliser l'équivalent de \(\binom{n+p}{p}\) qu'on vient d'obtenir, et la magie des croissances comparées devrait faire le reste.
Spoiler.

3.

Montrer que, pour tout \(p\in\N\text{,}\) et pour tout \(x\in]-1,1[\text{,}\)

\begin{gather*} \left(\frac{1}{1-x}\right)^{p+1}=\sum_{n\geq 0}\binom{n+p}{p}x^n\\ \left(\frac{1}{1+x}\right)^{p+1}=\sum_{n\geq 0}(-1)^n\binom{n+p}{p} x^n \end{gather*}
Indice.

On peut partir de \(\frac1{1-x}=\sum_n x^n\) et utiliser le produit de Cauchy de séries pour calculer

\begin{equation*} \left(\frac{1}{1-x}\right)^{2} = \left(\sum_n x^n\right)\left(\sum_n x^n\right) \end{equation*}

et une fois qu'on a \(\left(\frac{1}{1-x}\right)^{2}\text{,}\) en déduire, à nouveau par produit de Cauchy,

\begin{equation*} \left(\frac{1}{1-x}\right)^{3} = \left(\frac{1}{1-x}\right)^{2}\left(\frac{1}{1-x}\right) \end{equation*}

et ainsi de suite. Ou, comme on dit dans mon village, par récurrence.

Pour faire marcher le pas de récurrence, on pourra se rappeler de la formule (5.2.1).

Spoiler.

4.

Soit \((a_n)\) une suite quelconque telle que \(\sum a_n x^n\) converge absolument pour tout \(x\in ]-1,1[\text{.}\)

On considère les sommes itérées \(S_n^{(p)}\) de \((a_n)\text{,}\) comme à la Définition 5.1.1. Montrer que

\begin{equation*} \sum_{n\geq 0} S_n^{(p)} x^n = \left(\frac{1}{1-x}\right)^{p+1} \sum_{n\geq 0}a_nx^n \end{equation*}
Indice.

On pourrait à nouveau faire appel au produit d'Augustin-Louis de la série \(\sum_{n\geq 0}a_nx^n\) et de la série \(\left(\frac{1}{1-x}\right)^{p+1}\) qu'on a obtenue juste avant, et comparer le résultat avec notre formule explicite pour \(S_n^{(p)}\) de la Proposition 5.1.3.

Spoiler.

5.

Revenons à notre suite binomiale \(a_n=(-1)^n \binom{n+p}{p}\text{.}\)

On note \(S_n^{(p)}\) ses sommes itérées. Montrer que

\begin{equation*} S_n^{(p)} = \begin{cases} \binom{j+p}{p} \text{ si } n=2j\\ 0 \text{ si } n \text{ est impair.}\\ \end{cases} \end{equation*}

Un information utile: si on a, pour tout \(x\in ]-1,1[\text{,}\)

\begin{equation*} \sum_{n=0}^\infty a_n x^n = \sum_{n=0}^\infty b_n x^n \end{equation*}

alors forcément \(a_n=b_n\) pour tout \(n\in\N\) 2 .

Indice.

On remarquera que

\begin{equation*} \left(\frac{1}{1-x}\right)^{p+1} \left(\frac{1}{1+x}\right)^{p+1} = \left(\frac{1}{(1-x)(1+x)}\right)^{p+1} = \left(\frac{1}{1-x^2}\right)^{p+1} \end{equation*}

Y a-t-il moyen d'écrire \(\left(\frac{1}{1-x^2}\right)^{p+1}\) sous forme de série sans trop travailler ?

Spoiler.

6.

En déduire que, si \(n=2j\) ou \(n=2j+1\text{,}\)

\begin{equation*} S_n^{(p+1)}=\binom{p+j+1}{p+1} \end{equation*}
Indice.

On dispose toujours de la formule (5.2.1), qui décidément est très utile.

Spoiler.

7.

Montrer que du coup

\begin{equation*} c_n^{(p+1)} = \frac{S_n^{(p+1)}}{\binom{p+n+1}{p+1}} \xrightarrow{n\rightarrow\infty} \frac 1{2^{p+1}} \end{equation*}

Conclure triomphalement.

Exercice Somme alternée de puissances \(p\)-ièmes

On va utiliser la convergence \((\mathcal C,p+1)\) de la somme \(\sum \binom{p+n}{p}\) pour obtenir, sans plus de calcul, la convergence de \(1^p-2^p+3^p-4^p+...\text{.}\)

1.

Choisissons un \(p\in \N\)  3 . On s'intéresse donc à la série de terme général \(((-1)^{n+1}n^p)_{n\geq 1}\text{,}\) ou, ce qui revient au même, \(((-1)^{n}(n+1)^p)_{n\geq 0}\text{.}\)

Quel est le degré du polynôme \((X+1)^p\) ? Combien de coefficients nous faut-il pour décrire les polynômes de ce degré ?

Spoiler.

C'est un polynôme de degré \(p\text{.}\) Il a donc \(p+1\) coefficients \(a_0,a_1,...a_p\) tels que

\begin{equation*} (X+1)^p = a_0 + a_1 X +...+a_p X^p \end{equation*}

Ou encore, si on note \(E_0(X)=1,E_1(X)=X,...E_p(X)=X^p\) alors

\begin{equation*} (X+1)^p = a_0 E_0(X)+...+a_p E_p(X) \end{equation*}

\(\leadsto\) tous les polynômes de degré \(p\) peuvent s'écrire comme ça, en fonction de \(E_0,...E_p\text{.}\)

Ce qui ne casse pas trois pattes à un canard. Mais au lieu des \(E_i\text{,}\) on va utiliser une autre famille de \(p+1\) polynômes \(P_0,...,P_p\) avec \(\deg P_i = i\) et \((X+1)^p = c_0P_0(X)+...+c_pP_p(X)\text{;}\) et cette autre famille va faire le lien entre la somme alternée des coefficients binomiaux et la somme des \((n+1)^p\text{.}\)

2.

Pour tout entier \(j\text{,}\) on introduit le polynôme

\begin{equation*} P_j(X)=\frac1{j!}(X+j)(X+j-1)...(X+2)(X+1) \end{equation*}

(Du coup, \(P_0(X)=1\text{,}\) \(P_1(X)=X+1\text{,}\) \(P_2(X)=\frac12 (X+1)(X+2)\text{...}\))

\(\leadsto\) Quel est le degré de \(P_j\) ?

\(\leadsto\) Si \(n\) est un entiers, que vaut \(P_j(n)\) ?

Indice.

Toute ressemblance avec l'exercice précédent serait fortuite.

Spoiler.

3.

Ce qu'on sait, donc, c'est que pour n'importe quel \(j\text{,}\) la série \(\sum (-1)^nP_j(n)\) est \((\mathcal C,j+1)\)- convergente.

Mais du coup, si on pouvait exprimer \(P(X)=(X+1)^p\) en fonction des \(P_j(X)\text{,}\) autrement dit si on pouvait trouver des coefficients \(c_0,c_1,...,c_p\) tels que

\begin{equation*} P(X)= c_0 P_0(X) + c_1 P_1(X)+....+c_p P_p(X) \end{equation*}

On aurait alors

\begin{equation*} (n+1)^p=P(n)= c_0 P_0(n) + c_1 P_1(n)+....+c_p P_p(n) \end{equation*}

et du coup

\begin{equation*} (-1)^n(n+1)^p = c_0 (-1)^nP_0(n) + c_1 (-1)^nP_1(n)+....+c_p (-1)^nP_p(n) \end{equation*}

\(\leadsto\) Pourquoi pourrait-on alors conclure que \(\sum (-1)^n (n+1)^p\) est \((\mathcal C,p+1)\)-convergente ?

4.

Il serait donc positivement merveilleux de trouver de tels coefficients \(c_0,...,c_p\text{.}\)

Pour faire ça, on va remarquer que l'égalité qu'on veut vérifier,

\begin{equation} P(X)= c_0 P_0(X) + c_1 P_1(X)+....+c_p P_p(X)\tag{5.4.1} \end{equation}

doit être vraie pour tout réel \(X\) 4 . Du coup, elle doit aussi marcher pour, mettons, \(X=0\text{.}\)

\(\leadsto\) Qu'est ce que ça donne pour \(X=0\) ?

5.

On va essayer de choisir intelligemment des valeurs de \(X\) qui vont nous permettre de trouver facilement les coefficients \(c_0,...,c_p\text{.}\)

Pour ça, ce qui serait pratique, c'est d'en avoir le moins possible en même temps. Et donc, il nous faudrait des \(X\) pour lesquels certains \(P_j(X)\) sont nuls.

\(\leadsto\) Quels sont les \(X\) tels que \(P_j(X)=0\) ?

\(\leadsto\) Trions-les un peu. Trouver le(s) \(X\) tel(s) que \(P_j(X)=0\) pour \(j=1,...,p\) (tous sauf \(j=0\)).

\(\leadsto\) Trouver le(s) \(X\) tel(s) que \(P_j(X)=0\) pour tous les \(j\) plus grands que 2.

\(\leadsto\)Trouver, pour chaque \(j_0\in\{1,...,p\}\text{,}\) le(s) \(X\) tels que \(P_j(X)=0\) pour tous les \(j\) plus grand que \(j_0\text{.}\)

6.

Que donne l'équation (5.4.1) avec \(X=-1\) ?

En déduire \(c_0\text{.}\)

7.

Que donne l'équation (5.4.1) avec \(X=-2\) ?

En déduire \(c_1\text{.}\)

8.

Pourquoi peut-on affirmer que, même si on a la flemme de le faire pour \(j\geq 2\text{,}\) on pourrait trouver tous les \(c_j\) si on les voulait vraiment ?

\(\leadsto\) Cette certitude suffit à notre bonheur: on a déjà vu que, quelles que soient les valeurs exactes des \(c_j\text{,}\) du moment qu'ils existent, notre série \(\sum(-1)^n (n+1)^p\) \((\mathcal C,p)\)-converge.

9.

On se calme ! Ce qu'on a trouvé en fait, ce sont des \(c_j\) tels que, pour tout \(k\in \{-1,...,-p+1\},\)

\begin{equation*} P(-k) = c_0 P_0(-k)+...+c_p P_p(-k) \end{equation*}

Pourquoi peut-on être sûrs que du coup, pour tout \(X\) dans \(\R\text{,}\) même ceux qui ne sont pas des entiers négatifs, on aura aussi

\begin{equation*} P(X) = c_0 P_0(X)+...+c_p P_p(X) ? \end{equation*}
Indice.

Considérons le polynôme

\begin{equation*} Q(X)=P(X) - ( c_0 P_0(X+...+c_p P_p(X)) \end{equation*}

Quel est sont degré ? Et combien a-t-il de racines ?

Quel est le nombre maximal de racines qu'un polynôme non nul \(Q\) peut avoir ?

Et du coup, qui est \(Q\) ?

Spoiler.
Les séries du type \(\sum a_n x^n\) s'appellent des séries entières, et elles vont jouer un rôle-clé dans cette histoire
Un peu comme si c'étaient des "polynômes infinis"
Plus grand que 2, sinon où serait le fun !
Ce qui, de prime abord, peut sembler une exigence excessive: au final, on n'en a besoin que pour les \(X\) entiers. Mais on va voir que ça va en fait nous faciliter la vie !