Section 8.2 De l'art de prolonger avec goût
Subsection 8.2.1 Ajouter des \(x\)
Jusqu'ici, ce qui semble bien marcher, c'est de réécrire nos sommes sous forme de fonctions. Par exemple, avec Abel, on a réécrit
et toutes les méthodes qui nous ont permis de calculer cette somme pour des \(a\) inférieurs à \(-1\) (Euler, Cesàro) nous ont donné la même valeur:
même si la somme ne tradiconverge pas.
En fait, on a vu que toutes nos méthodes jusqu'ici ont une réécriture sous forme de fonction:
-
Abel:
\begin{equation*} \sum a_n\ \leadsto\ f(x)=\sum_{n\in\N} a_n x^n \end{equation*} -
Euler:
\begin{equation*} \sum a_n\ \leadsto\ f(x)=\sum_{n\in\N} a_n \left(\dfrac{x}{2-x}\right)^{n+1} = \sum_{n\in\N} e_n x^{n+1} \end{equation*} -
Cesaro:
\begin{equation*} \sum a_n\ \leadsto\ f(x)=\sum_n S_n^{(k)}x^n = \sum_n\left(\sum_k \binom{n+k}{k}a_{n-k}\right)x^n = \dfrac{1}{(1-x)^{k+1}}\sum_n a_n x^n \end{equation*}
\(\leadsto\) Dans tous les cas, d'une manière ou d'une autre, àn part des suites qu'on veut sommer, et on construit des fonctions avec.
Inversement, beaucoup de fonctions habituelles peuvent en fait s'exprimer sous forme de sommes. Notamment, pour n'importe quel réel \(x\in\R\text{,}\)
et, si \(x\in \,]\,-1,1\,[\,\text{,}\)
En utilisant ce développement de \(\exp\text{,}\) on peut s'en servir pour définir un nouveau genre de sommation, les méthodes de sommation de Borel. Pour cela, on note comme toujours \(s_n = a_0+...+a_n\) et on définit deux nouvelles fonctions
A partir de là:
-
on dira que la somme \(\sum a_n\) est faiblement Borel-convergente, ce qu'on note \([w B]\)-convergente, si
\begin{equation*} \frac{\beta(x)}{\exp(x)}=e^{-x}\sum_{n\in \N} s_n \frac{x^n}{n!}\xrightarrow[x\rightarrow +\infty]{} S \end{equation*}et dans ce cas on note \(\sum a_n = S[w B]\text{.}\)
-
on dira que la somme est Borel-convergente, ou \([ B]\)-convergente, si
\begin{equation*} \int_0^{+\infty} e^{-t}\alpha (t)dt \end{equation*}est une intégrale convergente; et dans ce cas la somme est la valeur de l'intégrale.
Exercice 8.2.1. Petit tour de la sommation de Borel.
(a)
On considère une suite géométrique \(a_n=\alpha^n\text{.}\) Que donnent \(\alpha(x)\) et \(\beta(x)\) dans ce cas ?
(b)
Pour quelles valeurs de \(\alpha\) la série géométrique \(\sum a_n\) est-elle \([w B]\)-convergente ?
(c)
Pour quelles valeurs de \(\alpha\) la série géométrique \(\sum a_n\) est-elle \([ B]\)-convergente ?
(d)
Comparer avec les méthodes de sommation de Cesàro, Abel et Euler.
(e)
On considère maintenant \(a_n=(-1)^n\, n!\text{.}\) Que donne \(\alpha(x)\) ?
La somme \(\sum (-1)^n\, n!\) est-elle \([ B]\)-convergente ?
(f)
A tout hasard, est-ce que la somme des entiers \(\sum n\) est Borel-convergente ?
(g)
Montrer que la sommation faible de Borel, \([wB]\) respecte la DDS.
(h)
Montrer que pour tout \(x\in [0,+\infty\,[\,\text{,}\)
En déduire que, si une somme infinie \(\sum a_n\) est \([wB]\)-convergente, alors elle est \([B]\)-convergente.
Noter que
En utilisant la règle de l'Hôpital, on remarque que, si \(\phi\) est dérivable,




(i)
Montrer que la sommation de Borel \([B]\) respecte la DDS.
(j)
Pour les amateurs d'analyse: On considère la suite
Pourquoi est-ce que \((a_n)_n\) est bien définie ?
Calculer \(\alpha(x)\) puis montrer que
est une intégrale convergente.
(k)
En déduire que la somme \(\sum a_n\) est \([B]\)-convergente, mais pas \([wB]\)-convergente.
\(\leadsto\) Toutes les méthodes de sommation qu'on a vues emploient des fonctions pour aborder des sommes problématiques. Et ce n'est pas pour rien : les fonctions nous donnent accès à tout l'arsenal de l'analyse. On peut les dériver, les intégrer, étudier leurs limites en tel ou tel point.
Pour citer Emile Borel, à ce sujet:
Il semble que ces remarques expliquent à la fois la confiance plus ou moins consciente accordée par les anciens géomètres aux séries divergentes, et les hésitations d'Abel et de Cauchy à les proscrire absolument.
Tant qu'on n'emploie que de bonnes fonctions, et tant qu'on ne le fait pas exprès, ce ne sera que par hasard que l'emploi des séries divergentes pourra être dangereux. Une erreur causée par leur emploi sera un accident fort rare.
―Emile Borel, Mémoire sur les séries divergentes, 1899.
Mais toutes nos utilisations de fonctions jusqu'ici ont été désespérément raisonnables, et toutes respectent la DDS comme si c'était la loi de la gravité. Mais, en fin de compte,

Subsection 8.2.2 Comment fonctionner déraisonnablement ?
Revenons sur l'idée générale. Jusqu'ici, on a utilisé les termes \(a_n\) qu'on veut sommer comme coefficients d'un "polynôme infini"
Typiquement, la fonction \(f\text{,}\) telle quelle, n'est pas définie en \(x=1\) (sinon la somme \(\sum a_n\) tradiconvergerait bêtement).
Mais souvent, \(f\) peut être exprimée différemment, sur un plus grand intervalle, qui, avec un peu de chance, contient \(1\text{.}\)
Et dans ce cas, il semble (à peu près) naturel de prendre \(\sum a_n = f(1).\)
Par exemple, avec la somme de Grandi, les termes \(a_n=(-1)^n\) nous donnent la fonction
\(\leadsto\) cette somme donne un résultat seulement si \(x \in \lbb -1 , 1\rbb\text{.}\) Et ce résultat est donné par
Or, la fonction \(x\mapsto \dfrac{1}{1+x}\) est définie, non seulement sur \(\lbb -1 , 1\rbb\text{,}\) mais sur \(\lbb -1, +\infty \rbb\text{,}\) ce qui nous permet de donner une valeur à notre somme infinie:
Jusqu'ici, on a essentiellement parlé d'associer à la suite \((a_n)_n\) une fonction du type "polynôme infini" (soit directement, comme avec Abel, soit après avoir quelque peu torturé \((a_n)_n\text{,}\) comme avec Euler).
Mais ce n'est pas la seule façon de s'y prendre: à partir d'une suite \((a_n)_n\text{,}\) on peut aussi fabriquer une série de Dirichlet : 3
\(\leadsto\) Dans ce cas, \(g\) est typiquement définie sur un intervalle du genre \(\lbb a, +\infty \rbb\text{,}\) avec \(a\gt 0\text{,}\) et on aimerait la prolonger à un intervalle qui contient \(0\text{,}\) ce qui nous permettrait de poser \(\sum a_n = 0\text{.}\)
On peut aussi fabriquer une série de Dirichlet généralisée 4 :
où \(\lambda_n\) est une suite choisie avec (on espère) intelligence, et on s'intéresse encore à prolonger \(\tilde g\) en \(0\text{.}\)
Si les \((a_n)_n\) sont non nuls, on peut envisager une zêta-régularisation 5 :
et cette fois, on veut prolonger \(\zeta_a\) jusqu'à \(-1\text{.}\)
Si on aime la trigonométrie, et qu'on a deux suites \((a_n)\) et \((b_n)\text{,}\) on peut même faire des séries de Fourier 6 :
...mais ça, c'est une autre histoire, qui sera racontée une autre fois.
Ok, donc, est-ce qu'on peut associer une fonction à une suite n'importe comment ?
Non, quand même pas. Enfin, si: rien ne m'empêche de définir la fonction
qui est définie pour \(x \in \lbb -1,1\rbb\text{,}\) et de la prolonger sauvagement en posant
et de décréter triomphalement que \(1+2+3+4+...=f(1)= \sqrt{17}\text{.}\)
...
OK, OK. \(f(1) = -\dfrac{1}{12}\text{.}\)
...

Mais on n'a pas l'impression d'avoir fait avancer le débat, là.
Subsection 8.2.3 Quels sont les prolongements raisonnablement déraisonnables ?
Dans l'idée:

\(\leadsto\) Au minimum, on veut des prolongements continus : si la fonction \(f\) a un saut au point qui nous intéresse, autant choisir une valeur au pif, ça ira plus vite.
Ce qui marche très bien quand le point qui nous intéresse est au bord de l'intervalle de définition de \(f\text{,}\) comme par exemple \(f(x)=\dfrac{1}{1+x}\) qui s'étend sans douleur à \(f(1)=\dfrac12\text{,}\) ou encore \(f(x)=\dfrac{\sqrt{x+1}}{\ln(x+1)}\text{,}\) définie sur \(\lbb -1,+\infty\rbb\) qui se prolonge en \(f(-1)=0\text{.}\)
Mais si le point est un peu plus loin ?

Par exemple, quel serait le prolongement "naturel" de \(f(x)=\dfrac{\sqrt{x+1}}{\ln(x+1)}\) en \(x=-17\) ?
Pour des fonctions simplement continues, il n'y a tout simplement pas de bonne réponse. Ou plutôt, il n'y en a pas de mauvaise: on peut choisir n'importe quelle valeur en \(a\text{,}\) et tracer un trait entre la fin du graphe de \(f\) et le point qu'on a choisi, et pouf, c'est un prolongement continu.
Ce qui ne nous aide pas tellement.
Pour certaines catégories de fonctions, cependant, il y a un prolongement qui semble clairement préférable. Par exemple, si \(f\) donne une droite sur son intervalle de définition:

\(\leadsto\) Le plus naturel, c'est de prolonger tout droit.
Si \(f(x)=ax+b\) pour tout \(x \leq 0\text{,}\) il y a une seule droite qui prolonge \(f\) à \(\R\) tout entier: la droite...\(ax+b\text{.}\)
Mieux: si \(f(x)=ax+b\) pour tout \(x\in [0,1]\) 7 , alors il y a un seul polynôme
tel que \(P(x)=f(x)\) pour tout \(x\in [0,1]\) : on a forcément \(a_0=a,a_1=b,a_2=..=a_d=0\text{.}\) Aucun autre prolongement de \(f\) n'est un polynôme.
Plus généralement, si \(f(x)\) est un polynôme sur \([0,1]\text{,}\) alors il y a un seul polynôme \(P(x)\) qui prolonge \(f\) sur \(\R\) tout entier.
Petit Exercice 8.2.2.
En fait, cette propriété du prolongement unique est vraie aussi pour les polynômes infinis, ou, comme on les appelle plus officiellement, les fonctions analytiques.
Subsection 8.2.4 Prolongement analytique
Rappelons un peu le vocabulaire officiel: comme on avait appris avec Abel, une série entière est une fonction de la forme
définie sur une intervalle \(\lbb -r,r\rbb\) tel que, pour tout \(x\in \lbb -r,r\rbb\text{,}\) la somme infinie
est tradiconvergente.
On dit parfois que \(r\) est le rayon de convergence de la série entière.
On a vu que la fonction exponentielle est une série entière: pour tout \(x\in \R\) 8 ,
Ca fait un moment qu'on a remarqué que la fonction \(\dfrac{1}{1-x}\) est aussi une série entière: pour tout \(x\in \lbb-1,1\rbb\text{,}\)
Et de là, à l'époque des calculs avec Cesàro, on avait obtenu que, quel que soit \(m\in \N\)
La première observation qu'on peut faire, c'est que, quand on a une série entière
les coefficiens \(a_0,a_1,...\) sont liés aux dérivées successives de \(f\text{.}\)
Exercice 8.2.2. Coefficients des séries entières..
Prenons une série entière
tel que la somme tradiconverge sur un intervalle \(I=\lbb - R,R\rbb\text{.}\)
(a)
Trouver un \(x_0\in I\) tel que \(f(x_0)=a_0.\)
(b)
Montrer que \(a_1=f'(x_0)\text{.}\)
(c)
A partir de là, trouver une relation entre les coefficients \(a_n\) et les dérivées de \(f\) en \(x_0\text{.}\)
(d)
Vérifier cette formule avec \(f(x)=\exp(x)\) et \(f(x)=\dfrac{1}{1-x}\text{.}\)
\(\leadsto\) Les coefficients d'une série entière sont donc dictés par le comportement de \(f\) en \(0\text{.}\)
La deuxième observation qu'on va faire, c'est qu'on n'est en fait pas forcés de "centrer en 0":
Exercice 8.2.3. Décentrage des séries entières.
On part une fois encore d'une série entière
sur un intervalle \(I=\lbb - R,R\rbb\text{.}\)
On va montrer qu'il existe, pour chaque \(c\in I\text{,}\) des coefficients \(b_0,b_1,...\) et \(r\gt0\) tels que, pour tout \(x\in\lbb c-r,c+r\rbb\text{,}\)
(a)
Commençons par un exemple: prenons \(f(x)=\exp(x)\text{.}\)
Trouver des coefficients \(b_0,b_1,...\) tels que, pour tout \(x\in\R\text{,}\)
(b)
Reprenons notre série entière générique \(f(x)=a_0+a_1x+ a_2 x^2+...\text{.}\)
Soit \(c\in I\) un point quelconque (le nouveau "centre").
Trouver des coefficients \(b_0,b_1,...\) et \(r\gt0\) tels que, pour tout \(x\in \lbb c-r,c+r\rbb\text{,}\)
(c)
Exprimer les coefficients \(b_k\) en fonction des dérivées successives de \(f\) en un point à deviner.
Selon le centre \(c\) choisi, une même fonction série entière \(f(x)\) peut s'écrire de deux façons différentes:
tout en restant la "même" fonction. On va nommer ce phénomène:
Définition 8.2.3.
-
Une fonction \(f\) définie sur un intervalle \(\lbb c-r,c+r\rbb\) autour d'un point \(c\) est développable en série entière au point \(c\) si, pour tout \(x\in \lbb c-r,c+r\rbb\text{,}\) \(f(x)\) s'écrit:
\begin{equation*} f(x)=a_0+a_1(x-c)+a_2(x-c)^2....=\sum_{n=0}^{+\infty} a_n (x-c)^n \end{equation*}(et comme on a vu, dans ce cas, \(a_n=\dfrac{f^{(n)}(c)}{n!}\))
-
Une fonction \(f\) définie sur un intervalle \(I\) est analytique si, pour n'importe quel point \(c\in I\text{,}\) on peut développer \(f\) en série entière en \(c\text{.}\)
Autrement dit, quel que soit \(c\in I\text{,}\) il existe \(r\gt 0\) tel que, pour tout \(x \in \lbb c-r, c+r\rbb\text{,}\) la somme
\begin{equation*} \sum_{n=0}^{+\infty} \dfrac{|f^{(n)}(c)|}{n!} |x-c|^n \end{equation*}tradiconverge, et
\begin{equation*} f(x)=f(c)+f'(c)(x-c)+\dfrac{f''(c)}{2}(x-c)^2+....=\sum_{n=0}^{+\infty} \dfrac{f^{(n)}(c)}{n!} (x-c)^n \end{equation*}
OK, et quand est-ce qu'on prolonge ?
En théorie, quand on change de centre, la série entière décentrée existe pour \(x\) dans un sous-intervalle de l'intervalle d'origine \(\lbb -R, R\rbb\text{:}\)

Mais avec un peu de chance, dans la pratique, la nouvelle somme infinie tradiconverge sur un intervalle un peu plus grand; et avec beaucoup de chance, ce nouvel intervalle dépasse de \(\lbb - R, R\rbb\text{:}\)

\(\leadsto\) Dans ce cas, en utilisant intelligemment ce décentrage, on peut peut-être essayer de prolonger notre série entière au-delà de ses frontières naturelles:

Par exemple:
Exercice 8.2.4. Prolongement(s) de \(\dfrac{1}{1-x}\).
On part de la série entière
\(\leadsto\) On en a déjà parlé, c'est une somme géométrique, donc la somme infinie
tradiconverge si \(x\in \lbb -1,1 \rbb\text{.}\)
(a)
Puisque \(-\dfrac12 \in \lbb -1,1 \rbb\text{,}\) on va pouvoir recentrer notre série entière en \(c=-\dfrac12\text{.}\)
Trouver des coefficients \(b_0,b_1,b_2,...\) tels que
(b)
Pour quels \(x\) la nouvelle somme
est-elle tradiconvergente ?
Ce nouvel intervalle \(J\) est-il plus petit ou plus gros que l'intervalle d'origine \(I\) ?
(c)
Repartons du nouveau développement centré en \(-\dfrac12\text{:}\) ça nous donne une fonction
définie sur \(J\) et qui est égale à \(f\) sur l'intervalle \(I\text{.}\)
Remarquons que \(-\dfrac32 \in J\) et recentrons en \(-\dfrac32\text{:}\) trouver des coefficients \(c_0,c_1,c_2,...\) tels que
(d)
Montrer par récurrence sur \(p\) que, pour tout \(p\in\N\text{,}\) pour tout \(x\in \lbb-1,1\rbb\text{,}\)
Pour quels \(x\) la somme de droite est-elle tradiconvergente ?
\(\leadsto\) La bonne nouvelle, c'est qu'on peut parfois prolonger des fonctions analytiques de façon à ce que le prolongement soit toujours analytique.
Plus haut, on a vu que, pour les droites, il y a une seule façon droite de prolonger une droite.
Par contre, pour les fonctions continues, il y a une infinité de prolongements différents.
La deuxième bonne nouvelle, c'est que les fonctions analytiques ont un seul prolongement analytique.
Exercice 8.2.5. Unicité du prolongement analytique.
On prend une fonction analytique \(g\) définie sur un petit intervalle \(I\text{.}\) Du coup, pour chaque \(x_0\in I\text{,}\) on peut trouver des coefficients \(a_0,a_1,a_2,...\) tels que
et on considère deux prolongements de \(g\text{,}\) \(g_1\) et \(g_2\text{,}\) elles aussi analytiques, et définies sur un intervalle plus grand \(J\) tel que \(I\subset J\)
\(\leadsto\) le but du jeu est de montrer que \(g_1=g_2\) : parmi toutes les fonctions analytiques sur \(J\text{,}\) il n'y en a qu'une seule qui prolonge \(g\text{.}\)
(a)
On va montrer que \(f=g_1-g_2\) est en fait la fonction constante nulle sur l'intervalle \(\lbb -R,R\rbb\text{.}\)
Commencer par vérifier que \(f\) aussi est analytique.
Il s'agit donc de montrer que, pour tout \(x_0\) in \(J\text{,}\) il existe des coefficients \(u_0,u_1,u_2,...\) tels que, pour tout \(x\) pas loin de \(x_0\text{,}\)
Or, \(g_1\) et \(g_2\) sont analytiques, donc on peut des développer en série entière au voisinage de \(x_0\text{.}\)
(b)
On veut montrer que si
alors
On va procéder par contraposée: on va montrer que, si \(f\) n'est pas la fonction nulle sur \(J\) tout entier, alors elle ne peut pas être nulle sur \(I\text{.}\)
En fait, on va montrer mieux que ça: on va montrer que si \(f\) n'est pas entièrement nulle sur \(J\text{,}\) alors, si elle s'annule en un point \(x_0\text{,}\) alors elle doit être non nulle "autour" de \(x_0\text{.}\)
Plus précisément, supposons que \(f\) n'est pas la fonction nulle sur \(J\text{.}\) 0n va montrer que, si \(f(x_0)=0\) alors il existe \(\delta \gt 0\) tel que
Supposons donc que \(f(x_0) = 0\text{.}\) Montrer qu'il existe un entier \(d\geq 1\) et une fonction \(g\) définie sur un petit intervalle \(I_{x_0}\) autour de \(x_0\) tels que, pour tout \(x\in I_{x_0}\text{,}\)
Utiliser le développement en série entière de \(f\) en \(x_0\text{.}\)
(c)
(Uniquement pour les fans d'analyse) Justifier que \(g\) est continue sur \(I_{x_0}\text{.}\)
En déduire qu'il existe \(\delta\gt 0\) tel que, si \(|x-x_0|\lt \delta\text{,}\) \(g(x)\neq 0\text{.}\)
(d)
En déduire que, pour tout \(x\in \lbb x_0-\delta, x_0+\delta \rbb\text{,}\) si \(x\neq x_0\text{,}\) alors \(f(x)\neq 0\text{.}\)
(e)
Conclure que \(f\) ne peut pas être nulle sur \(I\) tout entier.

On a en fait montré dans la foulée un résultat important sur les fonctions analytiques: le principe des zéros isolés.
Théorème 8.2.5. Principe des zéros isolés.
Soit \(f\) une fonction analytique sur un intervalle \(I\text{.}\)
Alors, si \(x_0\in I\) est un zéro de \(f\text{,}\) autrement dit si \(f(x_0)=0\text{,}\) alors \(x_0\) est isolé, autrement dit il existe un petit intervalle \(I_{x_0}\) autour de \(x_0\) dans lequel \(x_0\) est le seul zéro.
Peut-on tout prolonger analytiquement ?
On a vu qu'en partant de la fonction analytique
définie au départ sur \(\lbb -1,\rbb 1\text{,}\) on pouvait prolonger indéfiniment à gauche: quel que soit \(x \lt 1\text{,}\) on peut prolonger \(f\) sur un intervalle \(\lbb -2p, 1\rbb\) qui contient \(x\text{.}\)
Peut-on prolonger vers la droite ?
Exercice 8.2.6. Tentative de prolongement de \(\sum x^n\) vers la droite.
(a)
On part donc de
définie sur \(\lbb-1,1\rbb\text{.}\)
Déterminer le développement en série entière de \(f\) en \(\dfrac12\text{,}\) autrement dit trouver des coefficients \(a_0,a_1,a_2,...\) tels que
(b)
Pour quels \(x\) la nouvelle somme \(\sum_{k=0}^\infty a_k \left(x-\frac12\right)^k\) est-elle tradiconvergente ?
Est-ce que ça prolonge \(f\) ?
(c)
Réessayer un peu plus près de \(1\text{,}\) par exemple en \(x_0= \frac34\text{:}\) trouver des coefficients \(b_0,b_1,b_2,...\) tels que
(d)
Est-ce que cette fois, \(f\) est prolongée ?
(e)
Montrer plus généralement que, pour tout entier \(m\text{,}\)
Pour quels \(x\) est-ce que cette somme tradiconverge ?
Est-ce qu'on va arriver à prolonger \(f\) comme ça ?
Qu'est-ce qui bloque ?
Rappelons qu'on connaît une expression plus pratique pour cette série entière: pour \(x\in \lbb -1,1\rbb\text{,}\)
\(\leadsto\) Avec cette expression, on voit que les \(x\lt -1\) ne sont pas un obstacle à la prolongation:

Par contre, à droite, on tombe sur un mur:

ou, comme on dit plus élégamment, une singularité.
Et derrière la singularité, on a l'impression qu'on pourrait prolonger par n'importe quoi:

Et pourtant, là, l'expression \(\dfrac{1}{1-x}\) ne pose pas de problème à droite de 1, non plus. Mais comment raccrocher les deux bouts ?
\(\leadsto\) En contournant \(1\) par la 4ème dimension.

C'est maintenant que ça se complexifie.
Comme on peut s'en rendre compte, d'ailleurs, en prenant la primitive de
Cette somme, la série factorielle alternée, est une de celle qu'Euler a étudié le plus: il a approché sa valeur de six manières différentes, et toujours trouvé la même valeur approchée (0.59637255). C'est sur la base de ce genre de cohérence dans des résultats apparemment insensés, que lui et ses contemporains étaient convaincus que ces sommes infinies avaient une "vraie" valeur.
Pour celle-ci, il utilisa notamment... une fonction:
Cette somme ne converge que pour \(x=0\text{,}\) mais ignorons allègrement ce détail. On dérive comme si tout allait bien, et on trouve
\(S\) est donc une solution d'équation différentielle:
En multipliant par \(e^{-\frac1x}\text{,}\)
et la partie gauche est la dérivée de \(e^{-\frac1x}S(x)\text{,}\) donc, en primitivant:
et donc
fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9rie_de_Dirichlet
en.wikipedia.org/wiki/General_Dirichlet_series
en.wikipedia.org/wiki/Zeta_function_regularization