Section 7.5 De Methodibus Comparitibus

Renforcée par toutes ces itérations, la sommation d'Euler est parée pour un tournoi avec les méthodes qu'on connaît déjà: les moyennes de Cesàro/Hölder, et la sommation d'Abel.
Subsection 7.5.1 Euler vs Cesàro
Euler et Cesàro sont, en quelque sorte, deux façons différentes de moyenner les sommes partielles:
On a ensuite vu qu'on pouvait renforcer ces méthodes en les appliquant plusieurs fois d'affilée, ce qui nous a donné les sommations \((\mathcal C,p)\) et \((\mathcal E,q)\text{.}\)
Avant de les lancer en combat singulier, on peut se demander ce qui arriverait si on applique d'bord une couche de Cesàro, puis une dose d'Euler.
Ou l'inverse: d'abord une moyenne de Cesàro, puis une eulérisation.
Il se trouve en fait que m'ordre dans lequel on le fait ne change rien:
Proposition 7.5.1.
Soit \((a_n)_n\) une suite et \(S_n=\sum_{k=0}^n a_k\) les sommes partielles associées.
Avec les notations ci-dessus, on a en fait
pour chaque \(n\in\N\text{.}\)
Et du coup
Corollaire 7.5.2.
Pour tous entiers \(p,q\text{,}\)
Exercice 7.5.1. Preuve qu'on peut échanger \(C_1\) et \(E_1\text{.}\).
(a)
Montrer que
(b)
Montrer que
(c)
Il nous reste donc à montrer que , pour tous entiers \(m\geq k\) on a
Vérifier que cela revient à montrer que
(d)
On fixe un entier \(k\) et on va procéder par récurrence sur \(m\text{,}\) pour \(m=k,k+1,...\text{.}\)
\(\boxed{m=k}\) Initialiser: vérifier que tout marche bien quand \(m=k\)
(e)
\(\boxed{m\leadsto m+1}\) Supposons que
et déduisons-en que
Pour ça, montrer que
(f)
En déduire que
(g)
Conclure moyennement.
(h)
A partir de l'échangeabilité de \(C_1\) et \(E_1\text{,}\) montrer que, pour tous entiers \(p\) et \(q\text{,}\) les suites
sont égales.
On en déduit que les mathématiciens de l'époque d'Euler n'avaient pas tort de penser que, si on arrive à faire converger une série divergente, il y a une seule somme "naturelle":
Proposition 7.5.3.
Si une somme infinie \(\sum a_n\) est à la fois \((\mathcal C,p)\)-convergente et \((\mathcal E,q)\)-convergente, alors la \((\mathcal C,p)\)-somme de la série est égale à la \((\mathcal E,q)\)-somme.
Petit Exercice 7.5.4.
Les méthodes d'Euler et de Cesàro, chacune à leur manière, sont particulièrement indiquées pour les séries alternées (du type \(\sum (-1)^na_n\text{,}\) avec \(a_n\) des réels positifs).
La méthode de Cesàro tend à détruire les oscillations en les compensant entre elles, tandis que la méthode d'Euler les garde, mais diminue leur amplitude.
Y a-t-il une méthode mieux que l'autre ?
Exercice Euler vs Cesàro, le match
1. Round 1: Euler et Cesàro contre les séries géométriques alternées.
On pose, pour tout \(n\in\N\text{,}\) \(a_n=(-2)^n\text{.}\)
Calculer les sommes partielles \(s_n=\sum_{k=0}^n a_k\text{,}\) puis la moyenne de Cesàro
\(\leadsto\) La série \(\sum(-2)^n\) est-elle \((\mathcal C,1)\) convergente ?
2.
Plus généralement, pour quelles valeurs de \(r\in\R\) la série \(\sum r^n\) est-elle \((\mathcal C,1)\) convergente ?
3.
Déclarer le vainqueur du Round 1.
4. Round 2: Euler et Cesàro contre les séries à trous.
Considérons la suite
Déterminer les sommes partielles \(s_n=\sum_{k=0}^n b_k\)
5.
Montrer que, pour \(m^2 \leq n \lt(m+1)^2\text{,}\) on a
où on a noté \(C_1(s_p)=\frac1{p+1}(s_0+...+s_p)\) la suite de ses moyennes de Cesàro.
6.
En déduire que
7.
La série \(\sum b_n\) est-elle \((\mathcal C,1)\)-convergente ?
8.
Montrer que, pour \(n=m^2\text{,}\) on a
9.
Optionnel, pour les amateurs d'analyse: En utilisant la formule de Stirling 2 , montrer que
(Sinon, admettre ça, sans plus)
10.
A l'aide de la Proposition 7.5.3, conclure que la transformée d'Euler de \(\sum b_n\) ne peut pas converger.
11.
Déclarer le vainqueur du Round 2.
Il n'y a donc pas vraiment de vainqueur entre Cesàro et Euler: les deux méthodes ne sont pas équivalentes, certaines sommes sont Cesàro-convergentes mais pas Euler-convergentes tandis que d'autres sont Euler-convergentes mais pas Cesàro-convergentes.
En revanche, et c'est rassurant, elles ne se contredisent pas: si une série est à la fois Euler-convergente et Cesàro-convergente, alors les sommes totales obtenues par ces deux méthodes sont les mêmes.
Subsection 7.5.2 Euler vs Abel
La sommation d'Abel est basée sur la reformulation des sommes infinies en termes de fonctions "polynômes de degré infini" (qu'on appelle des "séries entières")
Du coup, quand on avait comparé les sommations d'Abel et de Cesàro au Théorème 6.3.1, on avait reformulé les sommes de Cesàro en termes de fonctions similaires.
On va faire subir le même sort à la transformation d'Euler.
Exercice 7.5.2. Version "série entière" de la sommation d'Euler.
Soit \((a_n)_n\) une suite de réels, on s'intéresse à la somme infinie \(\sum_{n\in\N}a_n\text{.}\)
Supposons que, pour tout réel \(x\) suffisamment proche de 0, disons pour \(|x|\lt r\text{,}\) la somme \(\sum_{n=0}^{+\infty} a_n x^n\) est (absolument) tradiconvergente, ce qui nous donne une fonction
On va reformuler la transformation d'Euler en terme de transformation de la fonction \(f(x)\text{.}\)
(a)
On pose \(y=\dfrac{x}{1+x}\text{.}\) Montrer que
Exprimer \(x\) en fonction de \(y\text{,}\) et remplacer dans le développement de \(xf(x)\text{.}\)
Utiliser le développement de \(\left(\frac{1}{1-y}\right)^{p+1}\) qu'on avait obtenu au bon vieux temps des sommes de Cesàro:


(b)
En déduire que
où \(\displaystyle e_p=\frac1{2^{p+1}}\sum_{n=p}^n\binom{p}{n}a_n\) est la transformée d'Euler de la suite \((a_n)_n\text{.}\)
(c)
Du point de vue des fonctions, la transformée d'Euler consiste à "changer de variable":
Reformuler "la somme \(\sum a_n\) est \((\mathcal E,1)\)-convergente" en termes de ce polynôme infini.
(d)
Reprenons le calcul qu'on a fait, mais cette fois en posant \(y=\dfrac{x}{1+\alpha x}\text{,}\) où \(\alpha \gt 1\text{.}\)
Déterminer une suite \(a_n(\alpha)\) telle que
(e)
Reformuler la \((\mathcal E,q)\)-convergence en fonction de ce nouveau polynôme infini.
Exercice 7.5.3.
Voyons ce que donne cette nouvelle interprétation de la convergence à la Euler avec les suites géométriques.
(a)
Posons \(a_n=(-1)^n\text{.}\) Déterminer \(r\gt0\) tel que \(\sum |a_n x^n|\) tradiconverge pour tout \(|x|\lt r\text{.}\)
On pose, pour tout \(x\in \lbb -r,r\rbb\text{,}\) \(f(x)=\sum_{n=0}^{+\infty}a_nx^n\text{.}\)
Donner une expression de \(xf(x)\text{.}\)
(b)
(Re-)calculer 3 la transformée d'Euler \((a_n^{(1)})\) de la suite \((a_n)_n\text{.}\)
En déduire une expression de la fonction \(\displaystyle g(z)=\sum_{n\in\N} a_n^{(1)} z^{n+1}\text{.}\)
(c)
Vérifier que \(\displaystyle g(z)=\dfrac{z}{2-z}f\left(\dfrac{z}{2-z}\right)\text{.}\)
(d)
Remettre ça avec \(a_n=(-2)^n\text{.}\)
(e)
Cette fois, on prend \(a_n=(-3)^n\text{.}\)
A nouveau, trouver \(r\gt 0\) tel que \(\sum |a_n x^n|\) tradiconverge pour tout \(x\in \lbb -r,r \rbb\) et donner une expression plus sympathique de \(f(x)=\sum_{n=0}^\infty a_n x^n\text{.}\)
Calculer \(\displaystyle\left(\frac{z}{4-3z}\right)f\left(\frac{z}{4-3z}\right)\text{.}\)
(f)
Calculer la suite \(a_n^{(2)}\) obtenue en appliquant deux fois la transformée d'Euler à la suite \(a_n\text{.}\)
Puis donner une expression de \(\displaystyle g(z)=\sum_{n=0}^\infty a_n^{(2)} z^{n+1}\text{.}\)
Calculer \(\displaystyle g\left(\dfrac{4x}{1+3x}\right)\text{.}\)
Exercice Euler vs Abel, le match
1. Round 1: Euler et Abel contre les séries géométriques alternées.
On pose, pour tout \(n\in\N\text{,}\) \(a_n=(-2)^n\text{.}\)
Est-ce que la série \(\sum a_n\) est Abel-convergente ?
2.
Déclarer le vainqueur du Round 1.
3. Round 2: Euler et Abel contre les fonctions bizarres.
Considérons la fonction définie sur \(\lbb -1 , 1\rbb\) par
Montrer que \(f(x)=\sum_n a_n x^n\) pour
Ca ressemble à la fonction dont Abel s'était servi pour écraser Cesàro, à l'Exercice 6.3.3


4.
La somme \(\sum a_n\) est-elle Abel-convergente ?
5.
Calculer, pour \(\alpha\gt 1\text{,}\)
\(\leadsto\) Cette fonction est-elle définie en \(y=1\) ?
6.
Existe-t-il \(q\in\N^*\) tel que \(\sum a_n\) soit \((\mathcal E,q)\)-convergente ?
7.
Déclarer le vainqueur du Round 2.
A nouveau, c'est un match nul : les sommations d'Abel et d'Euler ne sont pas équivalentes, certaines sommes sont Abel-convergentes mais pas Euler-convergentes tandis que d'autres sont Euler-convergentes mais pas Abel-convergentes.
fr.wikipedia.org/wiki/Formule_de_Stirling