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Section 8.3 De l'art de prolonger avec imagination

Le problème de \(\R\text{,}\) c'est que c'est un peu comme la ligne de TER Rang-du-Fliers vers Boulogne-sur-Mer : si un sanglier la trouve confortable, le train est arrêté, et comme il n'y a que deux directions, vers l'avant et vers l'arrière, on n'a pas d'autre choix que d'attendre.

Et un sanglier, ça finit par avoir faim, mais une singularité, non, en général ça reste.

Alors que, si on est à pieds dans un champ au milieu des Cornouailles, et qu'un spécimen de faune locale est sur le chemin, rien n'empêche de le contourner avec une marge prudente.

La morale de cette édifiante comparaison, c'est que la marche à pieds, c'est mieux.

Non, pardon, la morale, c'est que si un point pose problème, et qu'on veut prolonger son chemin, mieux vaut avoir (au moins) deux dimensions de déplacement.

Et, parmi toutes les fonctions qui sont définies sur un (morceau de) plan plutôt que sur une (portion de) droite, il en est qui, comme leur nom ne l'indique pas, sont particulièrement sympathiques: les fonctions complexes..

Subsection 8.3.1 Ajouter des \(z\)

De même que les fonctions réelles transforment un nombre réel \(x\) en un autre nombre réel (par exemple, \(x^2\) pour la fonction carré), les fonctions complexes transforment un nombre complexe \(z\in \Cc\) en un autre nombre complexe (par exemple...\(z^2\)).

Un nombre complexe \(z=x+iy\) nous permet de manipuler deux réels \(x\) et \(y\) d'un coup. Et deux réels, ça nous donne un point sur le plan:

 1 

\(\leadsto\) Chaque nombre complexe \(z=x+iy\) correspond à un point \((x,y)\) sur un plan, et si on a une fonction complexe, \(f(z)=u+iv\) correspond à un autre point \((u,v)\)du plan. Et comme on voulait justement disposer de plus de liberté de mouvement pour contourner des points, c'est bien ça qu'il nous faut.

Remarque 8.3.1.

Pourquoi utiliser des nombres complexes, plutôt que directement des points \((x,y)\) sur le plan ?

Parce que, sur les nombres complexes, on dispose de règles de calcul (somme, produit, etc) qui nous permettent de les traiter à la fois comme des nombres (on peut les mettre au carré, au cube, calculer leur exponentielle ou leur logarithme ou même leur cosinus, les inverser...) et comme des points géométriques (ce qui permet d'utiliser cette idée de contournement).

Question: A quoi ressemblent ces fonctions ?

Pour représenter les fonctions réelles, le plus simple, c'est un graphe: on aligne toutes les valeurs des \(x\) horizontalement, et ensuite, on met un point verticalement à une distance \(f(x)\) de \(x\text{.}\)

\(\leadsto\) Une fonction complexe, c'est une fonction à deux dimensions: elle transforme des points du plan en d'autres points du plan. Ce sont donc des fonctions qui permettent "deux directions de déplacement".

Pour les représenter, on pourrait mettre les points \(z\sim (x,y)\) du plan "à plat" et ensuite, placer un point à une distance verticale \(f(z)\) de \(z\text{.}\) Sauf que non : \(f(z)\) n'est pas un réel, mais deux réels empaquetés dans un complexe, donc on ne peut pas l'utiliser comme distance. On peut représenter séparément, en 3D, les parties réelle et imaginaire de \(f(z)\) verticalement à partir de \(x\sim(x,y)\text{,}\) ou alors utiliser différentes couleurs, comme présenté dans cette superbe vidéo de Mathemaniac 5 :

Mes capacités en codage ne s'étendant pas jusqu'à de si splendides possibilités, on se contentera de dessiner côte à côte le plan de départ et le plan transformé, avec une petite flèche entre les deux pour insister.

Par exemple, la fonction \(f_1(z)=2z\) qui prend un nombre complexe et le multiplie par 2, ce qui multiplie par 2 la distance ente \(0\) et le point correspondant:

Figure 8.3.2.
\begin{equation*} f_1:z=x+iy \in \Cc \mapsto w=2z = 2x + 2iy \in \Cc \sim (x,y)\mapsto (2x,2y) \end{equation*}

Un autre exemple: \(f_2(z)=z+3\) décale tout vers la droite

Figure 8.3.3.
\begin{equation*} f_2:z=x+iy \in \Cc \mapsto z+3 = (x+3) + iy \in \Cc \sim (x,y)\mapsto (x+3,y) \end{equation*}

tandis que \(f_3(z)=z+2i\) décale tout vers le haut

Figure 8.3.4.
\begin{equation*} f_3:z=x+iy \in \Cc \mapsto z+2i = x + i(y+2) \in \Cc \sim (x,y)\mapsto (x,y+2) \end{equation*}

Et l'effet de la multiplication par \(i\text{,}\) \(f_4(z) = iz\text{,}\) est une rotation à angle droit:

Figure 8.3.5.
\begin{equation*} f_4:z=x+iy \in \Cc \mapsto iz = -y+ix \in \Cc \sim (x,y)\mapsto (-y,x) \end{equation*}

\(\leadsto\) On peut combiner ces fonctions pour en obtenir de nouvelles : la fonction \(f(z)= z + (3+2i) = (z + 3) + 2i\) revient à appliquer d'abord \(f_2\text{,}\) qui décale \(z\) de 3 crans vers la droite, puis \(f_3\) qui décale \(f_2(z)\) vers le haut:

 6 

Mais on peut aussi aller directement de \(z\) à \(z+(3+2i)\text{.}\) Pour cela, on associe à \(z\text{,}\) non pas le point \((x,y)\text{,}\) mais le vecteur basé en 0 et d'extrémité \((x,y)\text{,}\) et on lui ajoute (vectoriellement, donc) le vecteur associé à \(3+2i\text{.}\)

Dans le même genre d'idée, la fonction \(f(z) = 2iz = 2(iz)\) consiste à appliquer d'abord la multiplication \(f_4\) par \(i\) (qui correspond à une rotation à angle droit dans le sens antihoraire), puis la multiplication \(f_1\) par 2, qui multiplie la distance à \((0,0)\text{.}\)

 7 

Et maintenant, si on considère \(f(z)=(2+i)z\text{,}\) alors \(f(z)= 2z + iz\text{:}\) d'après ce qu'on a vu plus haut sur l'addition de deux complexes, c'est la somme vectorielle du vecteur correspondant à \(2z\) et de celui correspondant à \(iz\) (c'est à dire, \(z\) pivoté à angle droit).

Plus généralement, si \(w=c+id\) est un nombre complexe, alors la fonction \(f(z)=wz = cz + idz\) donne \(z\sim (a,b) \mapsto wz \sim (ac-bd,ad+bc)\text{:}\)

Mais le sens géométrique de la multiplication est plus clair si on exprime les points du plan correspondant à \(z\) et \(w\) en coordonnées polaires \((r,\theta)\text{:}\)\(r\sqrt{x^2+y^2}\) est la distance entre \(z\sim (x,y)\) et \((0,0)\text{,}\) et \(\theta\) est l'angle entre l'axe des abcisses et la driote qui relie \((0,0)\) à \(z\sim (x,y)\text{:}\)

\(\leadsto\) Dans ce cas, d'après la formule d'Euler 8 , \(w=r_1e^{i\theta_1}\text{,}\) \(z=r_2e^{i\theta_2}\) donc \(f(z)=wz = r_1r_2 e^{i(\theta_1 + \theta_2)}\text{.}\)

Pour une exploration géométrique plus poussée des différentes opérations sur les nombres complexes, notamment celles dont on n'a pas parlé (conjugué, inverse, division) voir par ici 9 .

Subsection 8.3.2 Une visite du zoo des fonctions complexes

Maintenant qu'on a une idée des opérations de base sur les nombres complexes, voyons quelles fonctions on peut leur appliquer.

Exponentielle complexe: on connaît bien l'exponentielle sur \(\R\text{,}\) mais que serait une fonction exponentielle sur les complexes ?

Une propriété fondamentale de \(\exp\text{,}\) c'est de transformer les sommes en produit:

\begin{equation*} \exp(a+b) = \exp(a)\exp(b) \end{equation*}

On peut en fait montrer que \(\exp\) est l'unique fonction qui vérifie cette propriété et \(\exp(1)=e = 2.71828...\text{.}\)

\(\leadsto\) Le minimum syndical qu'une exponentielle complexe devrait faire, c'est vérifier cette propriété.

Mais alors, si \(z=a+ib\) est un nombre complexe, on aura

\begin{equation*} \exp(z)=\exp(a+ib) = \exp(a)\exp(ib) \end{equation*}

Mais ça, on sait faire:

  • D'une part, \(a\) est un nombre réel tout ce qu'il y a de plus habituel, donc \(\exp(a)\) est simplement la fonction \(\exp\) réelle qu'on connaît déjà, appliquée à \(a\text{.}\)

  • D'autre part, d'après la formule d'Euler 10 ,

    \begin{equation*} \exp(ib) = \cos(b)+i\sin(b) \end{equation*}

    avec les fonctions \(\cos\) et \(\sin\) qu'on connaît bien.

\(\leadsto\) Calculer l'exponentielle d'un nombre complexe ne pose donc pas de problème: pour tout \(z=a+ib\text{,}\) on définit donc

\begin{equation*} \boxed{\exp(z)= e^a(\cos(b)+i\sin(b))} \end{equation*}

Montrer que, si on prend deux nombres complexes \(z=a+ib,w=c+id\text{,}\) on a \(\exp(z+w)=\exp(z)+\exp(w)\text{.}\)

Fonctions trigonométriques complexes: Toujours d'après la formule d'Euler 11 , on a, pour tout réel \(t\in \R\text{,}\)

\begin{equation*} e^{it} = \cos(t) + i\sin(t) \end{equation*}

et donc

\begin{equation*} e^{-it} = e^{i(-t)} = \cos(-t) + i\sin(-t) = \cos(t) - \sin(t) \end{equation*}

\(\leadsto\) En sommant et en soustrayant ces deux égalités, on trouve

\begin{equation*} e^{it}+e^{-it} = 2 \cos(t), \quad e^{it}-e^{-it} = 2i\sin(t) \end{equation*}

De là, pour tout \(t\in\R\)

\begin{equation*} \cos(t)= \frac{e^{it}+e^{-it}}2, \quad \sin(t)=\frac{e^{it}-e^{-it}}{2i} \end{equation*}

On a donc redéfini \(\cos\) et \(\sin\) en fonction de l'exponentielle complexe. Mais du coup, rien ne nous empêche de remplacer l'inoffensif réel \(t\) par un nombre complexe: si \(z=a+ib\in \Cc\text{,}\) alors \(iz = -b + ia\) et \(-iz = b - ia\) sont aussi des nombres complexes, et donc, on peut calculer leur exponentielle. Et de là, on peut trouver

\begin{equation*} \frac{e^{iz}+e^{-iz}}2, \quad \text{ et } \quad \frac{e^{iz}-e^{-iz}}{2i} \end{equation*}

\(\leadsto\) On définit alors tout simplement un cosinus et un sinus complexes en posant

\begin{equation*} \boxed{\cos(z)=\frac{e^{iz}+e^{-iz}}2}, \quad \text{ et } \quad \boxed{\sin(z)=\frac{e^{iz}-e^{-iz}}{2i}} \end{equation*}

Montrer que, pour tout \(z=a+ib\in \Cc\text{,}\)

\begin{gather*} \cos(z) = \frac{(e^{-b}+e^b)\cos(a)}2 + i\,\frac{(e^{-b}-e^b)\sin(a)}{2}\\ \text{ et }\\ \sin(z) = \frac{(e^{-b}+e^b)\sin(a)}{2} + i\, \frac{(e^{b}-e^{-b})\cos(a)}{2} \end{gather*}

Autrement dit, on peut définir l cosinus et le sinus complexes à partir de fonctions réelles tout à fait connues et raisonnables.

Puissances entières et polynômes : Puisqu'on sait multiplier deux nombres complexes, on peut multiplier un nombre complexe \(z\) avec lui-même, ce qui donne \(z^2\text{;}\) et en recommençant, on obtient \(z^3,z^4,...\text{,}\) autremet dit, \(z^n\) pour tout entier \(n\in \N\text{.}\)

Comme pour le produit, pour se faire une idée de ce que fait la fonction \(f(z)=z^n\) aux points du plan, il est plus pratique d'écrire \(z\) en forme exponentielle:

\begin{equation*} z=x+iy = r\,e^{i\theta} \quad \to \quad z^n = r^n\, e^{in\theta} \end{equation*}
Figure 8.3.8. \(f(z)=z^2\)
Figure 8.3.9. \(f(z)=z^3\)

Et, de là, en multipliant les \(z^n\) par des nombres complexes \(a_n\text{,}\) puis en sommant, comme on sait faire, on obtient des polynômes:

\begin{equation*} P(z)=a_0+a_1z + a_2z^2+...+a_dz^d \end{equation*}

Figure 8.3.10. \(P(z)=(2+i)+z^2+(3-i)z^3\)

Polynômes infinis (ou séries entières). A l'époque où nos problèmes étaient réels, mais pas complexes, Abel s'est attaqué au problème des séries divergentes avec des fonctions d'un type particulier: les séries entières, qui sont en forme de polynômes infinis:

\begin{equation*} f(x)=\sum_{n=0}^{\infty} a_n x^n \end{equation*}

\((a_n)_n\) est une suite infinie de coefficients réels.

Pour appliquer la convergence à la Abel, on avait étudié ces fonctions dans les cas où la somme \(\sum |a_n| |x|^n\) tradiconverge pour tout \(x\in \,]\,-1,1\,[\,\text{.}\) Il se trouve en fait que, quelle que soit la suite \((a_n)_n\text{,}\) on peut trouver un \(R>0\) tel que \(\sum |a_n| |x|^n\) tradiconverge pour tout \(x\in \,]\,-R,R\,[\,\text{.}\) La fonction \(f\) est alors définie qur l'intervalle \(\,]\,-R,R\,[\,\text{.}\)

Et il se peut que \(\sum |a_n| |x|^n\) tradiconverge pour tout \(x\in \R\text{,}\) ce qui nous donne une fonction définie sur \(\R\) tout entier. Un exemple marquant de ce phénomène est la série entière

\begin{equation*} f(x)=\sum_{n=0}^{+\infty} \frac{x^n}{n!} \end{equation*}

\(\leadsto\) Quel que soit \(x\in \R\text{,}\) cette somme tradiconverge 12 , et la somme totale est égale à \(f(x)=\exp(x)\) 13 .

Rien ne nous empêche de faire la même chose avec des nombres complexes: si \((a_n)_n\) est une suite infinie de coefficients complexes, et \(z\) un autre nombre complexe, alors on peut se demander pour quelles valeurs de \(z\in\Cc\) la somme \(\sum |a_n||z|^n\) tradiconverge.

Ici, du coup, \(|a_n|\) et \(|z|\) sont les modules, et non les valeurs absolues, des nombres complexes \(a_n\) et \(z\text{.}\) Et le module d'un nombre complexe \(z=x+iy\text{,}\) c'est un réel positif : \(|z|=\sqrt{x^2+y^2}\text{:}\) donc \(\sum |a_n||z|^n\) est une bonne vieille somme de nombres réels, et on est en droit de se demander si elle tradiconverge.

Si la suite de nombre réels \(\sum_n |a_n||z|^n\) tradiconverge, alors la suite de nombres complexes

\begin{equation*} S_0 = a_0, S_1 = a_0+a_1z, S_2=a_0+a_1z+a_2z^2,... \end{equation*}

est convergente dans \(\Cc\), ce qui signifie que les points du plan correspondant à \(S_0,S_1,...\) se rapprochent d'un point \(S=(s_1,s_2)\text{,}\) correspondant à un nombre complexe \(s=s_1+is_2\text{,}\) qu'on note \(f(z)=s=\sum_{n=0}{\infty}a_n z^n\text{.}\)

Exercice 8.3.1. Quelques polynômes infiniment complexes..

(a)

Considérons, pour un complexe \(z\in\Cc\text{,}\) la somme

\begin{equation*} f_1(z)=1+z+z^2+z^3+...=\sum_{k=0}^\infty z^n \end{equation*}

Déterminer pour quels \(z\in\Cc\) cette série entière tradiconverge ?

Indice.
Figure 8.3.11. En rouge: \(z,z^2,z^3,...\) En orange: \(z,z+z^2,z+z^2+z^3,...\)
(b)

On note \(D_1\) l'ensemble trouvé à la question précédente.

Montrer que, pour tout \(z\in D_1\) \(f_1(z)=\dfrac{1}{1-z}\)

(c)

Considérons maintenant pour un \(z\in\Cc\text{,}\) la somme

\begin{equation*} f_2(z)=1+\frac{z}{\pi}+\frac{z^2}{\pi^2}+\frac{z^3}{\pi^3}+...=\sum_{k=0}^\infty \left(\frac{z}{\pi}\right)^n \end{equation*}

Déterminer pour quels \(z\in\Cc\) cette série entière tradiconverge, et donner une expression plus simple de \(f_2(z)\text{.}\)

Indice.
Figure 8.3.12. En rouge: \(z,z^2,z^3,...\) En orange: \(z,z+z^2,z+z^2+z^3,...\)
(d)

Même question pour la somme

\begin{equation*} f_3(z)=\sum_{k=0}^\infty (2-2i)^n z^n \end{equation*}
Indice.
Figure 8.3.13. En rouge: \(z,z^2,z^3,...\) En orange: \(z,z+z^2,z+z^2+z^3,...\)
(e)

Et pour la somme

\begin{equation*} f_4(z)=\sum_{k=0}^\infty n z^n \end{equation*}
Indice.
Figure 8.3.14. En rouge: \(z,z^2,z^3,...\) En orange: \(z,z+z^2,z+z^2+z^3,...\)

Il se trouve, comme pour les réels, que quelle que soit la suite \((a_n)_n\text{,}\) soit il existe un réel \(R\) tel que la somme \(\sum |a_n||z|^n\) tradiconverge du moment que \(|z| \lt R\text{,}\) soit \(\sum |a_n||z|^n\) tradiconverge quel que soit \(z\text{.}\)

\(\leadsto\) Dans le premier cas, la fonction \(f(z)=\sum_{n=0}^{\infty} a_nz^n\) est définie sur l'ensemble \(D=\{z\in\Cc, |z|\lt R\}\text{.}\) Or, puisque \(|z|\) est la distance entre \((0,0)\) et le point du plan associé à \(z\text{,}\) on a \(|z|\lt R\) si, et seulement si, \(z\) est à une distance de \((0,0)\) plus petite que \(R\text{.}\) Autrement dit, si \(z\) est dans le disque de centre \((0,0)\) et de rayon \(R\text{:}\)

\(\leadsto\) L'ensemble de définition d'une fonction de type série entière est toujours, soit un disque \(D=\{z\in\Cc, |z|\lt R\}\text{,}\) soit \(\Cc\) tout entier. Dans le premier cas on appelle \(R\) le rayon de convergence; dans le deuxième cas, on dit que le rayon de convergence est \(+\infty\text{.}\)

Subsection 8.3.3 Prolongement par des fonctions complexes

\(\leadsto\) Sans rentrer ici dans le détail de la (riche, passionnante, hors-sujet) théorie des séries entières, concentrons nous sur ce qui nous intéresse: le prolongement de fonctions.

Dans notre étude des sommes divergentes, on est tombés plusieurs fois sur l'idée d'utiliser une fonction \(f(x)\) qui, pour une certaine valeur de \(x\in \R\text{,}\) donnerait la somme souhaitée. Par exemple, même si la série \(\sum a_n\) tradiverge, il se peut que la fonction  15 

\begin{equation*} f(x)=\sum_{n\geq 0} a_n x^n \end{equation*}

soit définie pour tout \(x\in \,]\,-1,1\,[\,\text{,}\) et on peut alors vérifier si \(f\) a une limite quand \(x\to 1\text{:}\) c'est la méthode d'Abel.

On a vu aussi que cette méthode fonctionne très bien pour \(\sum(-1)^n\text{,}\) mais que par contre, avec \(\sum 1\) et \(\sum n\text{,}\) on trouve

\begin{equation*} f_1(x)= \sum_n 1\cdot x^n = \dfrac{1}{1-x},\ f_2(x) = \sum_n n\cdot x^n = \dfrac{x}{(1-x)^2} \end{equation*}

qui sont effectivement définies sur \(\,]\,-1,1\,[\,\text{,}\) mais on une limite infinie (une singularité) en 1. Le point 1, tel un sanglier sur une voie ferrée, nous empêche de prolonger plus loin.

...Et depuis, on s'est baladés parmi les nombres et les fonctions complexes. Pourquoi, déjà ?

\(\leadsto\) Parce que, si on a une fonction \(f(z)\) définie sur \(\Cc\text{,}\) qui est un plan et non une droite, et qu'elle présente une singularité en un point, alors on peut se déplacer latéralement (contrairement aux trains) pour contourner ce point:

Par exemple, si on reprend la fonction

\begin{equation*} f(x)=\sum_{n=0}^{+\infty} x^n = \frac1{1-x} \text{ sur } \,]\,-1,1\,[\, \end{equation*}

Alors on a \(\lim_{x\to 1, x\lt 1} f_1(x) = +\infty\text{,}\) et on n'a donc pas de façon naturelle meilleure que les autres, de prolonger \(f\) au-delà de 1.

Mais maintenant, considérons cette même fonction sur \(\Cc\text{:}\) comme on l'a vu, la série entière

\begin{equation*} f(z)=\sum_{n=0}^{+\infty} z^n = \frac1{1-z} \text{ converge sur } \{z\in\Cc,|z|\lt 1 \} \end{equation*}

mais la fonction \(f(z)=\dfrac1{1-z}\) est définie pour tous les \(z\neq 1\text{:}\)

Figure 8.3.15. Graphe de la partie réelle de \(f(z)=\frac{1}{1-z}\)
Figure 8.3.16. Graphe de la partie imaginaire de \(f(z)=\frac{1}{1-z}\)

\(\leadsto\) et donc, elle n'est toujours pas définie en \(z=1\text{,}\) mais par contre elle est définie pour n'importe quel réel \(x\gt 1\text{.}\)

C'est le cas aussi de la fonction \(f(x)=\frac1{1-x}\) sur \(\R\text{,}\) mais cette fois, la fonction ne s'interrompt pas: en définissant la fonction \(f(z)=\frac1{1-z}\) sur \(\Cc\text{,}\) on peut relier les points de \(\,]\,-1,1\,[\,\) à \(37\) en contournant 1, et obtenir ainsi un unique prolongement ``naturel``.

Et donc, on pourrait considérer que la série tradivergente \(\sum 37^n\text{,}\) par exemple, ``prolonge-converge`` et sa ``prolonge-somme`` serait \(\frac1{1-37}=-\frac1{36}\text{.}\)

Ainsi, une stratégie générale qu'on pourrait adopter pour étudier une somme infinie \(\sum a_n\) serait la suivante:

  • Trouver une fonction réelle, définie sur un intervalle, \(f: I \to \R\text{,}\) telle que, pour in certain \(x_0\text{,}\) n'appartenant (probablement) pas à \(I\text{,}\) \(f(x_0)\) ait une tête à donner la somme qu'on cherche. Par exemple,

    • \(\displaystyle f(x)=\sum_{n\geq 0} a_n x^n\) avec \(x_0 = 1\)

    • \(\displaystyle f(x)=\sum_{n\geq 0} \frac{1}{a_n^x}\) avec \(x_0 = -1\)

    • \(\displaystyle f(x)=\sum_{n\geq 0} a_n e^{- \lambda_n x}\) avec \(x_0 = 0\)

  • Prolonger la fonction jusqu'à \(x_0\text{,}\) en passant (éventuellement) par les nombres complexes: on cherche donc une fonction \(\tilde f: D \to \Cc\) tel que \(I\subset D\) et \(x_0 \in D\text{.}\)

  • Déclarer triomphalement que \(\sum a_n\) \(\tilde f\)-prolonge-converge, et que

    \begin{equation*} \sum_{n=0}^\infty a_n = \tilde f(x_0) \quad [\tilde f] \end{equation*}

Mais là, une question se pose, toujours la même: y a-t-il un prolongement "naturel" ou plusieurs ? et s'il y en a plusieurs, lequel choisir ?

Et la réponse est... ¯\_(ツ)_/¯ .

Il existe en fait tout un zoo de méthodes de sommation: on en a exploré quelques-unes, mais ce ne sont que les plus naturelles. L'article Wikipédia "Séries divergentes" 16  donne un idée de la créativité qui a été déployée, dans différents contextes, pour faire converger de force des séries récalcitrantes. Et, justement parce que ces méthodes sont très diverses, aucun théorème général ne nous garantit qu'elles donnent toutes la même solution.

Il existe bien sûr des théorèmes de compatibilité: on a vu par exemple que les méthodes de sommation d'Hölder et de Cesaro marchaient pour les mêmes sommes, et donnaient toujours le même résultat. Et aussi, que la méthode d'Abel marchait dans tous les cas où les méthodes d'Hölder/Cesaro marchent, et donne le même résultat qu'elles.

Et on a aussi, au départ, dans notre Déclaration des Droits de la Somme 17 , demandé à ne considérer que les méthodes de sommations qui donnent le même résultat que la tradisomme dans les cas tradiconvergents, ce qui est aussi une exigence de compatibilité.

Les théorèmes de ce type sont appelés "théorèmes abéliens" ou "théorèmes taubériens": mais ils fonctionnent au cas par cas, tout simplement parce qu'on ne peut pas prévoir, dans un théorème, quels outils seront développés dans le futur pour forcer des sommes à converger.

Dans le cas plus restreint des méthodes basées sur l'utilisation de fonctions, on est déjà tombés sur un os de ce type avec la somme déplaisante de Callet 6.1.1: en utilisant différentes fonctions pour représenter la somme \(\sum (-1)^n\text{,}\) on pouvait trouver à peu près n'importe quel résultat. Abel avait résolu le problème, mais uniquement en imposant une méthode parmi d'autres possibles.

Note 8.3.17.

Pour une même somme \(\sum a_n\text{,}\) il se peut que plusieurs fonctions réelles correspondent relativement naturellement à cette série.

Une autre difficulté du même type: une fois choisie la fonction réelle \(f:I\subset \R \to \R\text{,}\) y a-t-il bien une seule fonction complexe \(\tilde f : D \subset \Cc \to \Cc\) qui la prolonge ?

Et la réponse, bien sûr, est...non.

Prenons par exemple la fonction \(f(x)=\dfrac1{1+x^2}\text{,}\) définie sur \(I=\R\text{.}\)

Une façon de la complexifier est de poser, tout simplement, \(\tilde f_1(z)=\frac1{1+z^2}\text{:}\)

\begin{equation*} \tilde f_1: x+iy\in D_1\subset \Cc \mapsto \frac{1+x^2-y^2}{(1+x^2-y^2)^2 + 4x^2y^2} -i \frac{2xy}{(1+x^2-y^2)^2 + 4x^2y^2} \in \Cc \end{equation*}

 18 

Figure 8.3.18. Partie réelle de \(\tilde f_1\text{;}\) en orange, \(f(x)\)
Figure 8.3.19. Partie imaginaires de \(\tilde f_1\)

Mais d'un autre côté, pourquoi pas

\begin{equation*} \tilde f_2 : x+iy\in D_2\subset \Cc \mapsto \frac{\cos(x^2y)}{e^y+x^2\ln(e+y^4)} + i \frac{\sin(y^2)}{e^y+x^2\ln(e+y^4)} \in \Cc \end{equation*}
Figure 8.3.20. Partie réelle de \(\tilde f_2\)
Figure 8.3.21. Partie imaginaires de \(\tilde f_2\)
En cas de panne sur les nombres complexes, voir ici 2 , ou ici 3 , et pour plus d'histoire,  4 .
carolinevernier.website/memos/nb_cpx.pdf
carolinevernier.website/memos/fiche_cpx.pdf
carolinevernier.website/pretext_cpx_analysis/analyse-complexe.html
www.youtube.com/@mathemaniac

(Remarquons que ça donne la même chose si on fait d'abord \(f_3\) puis \(f_2\))

Et cela revient au même, bien sûr, si on fait d'abord \(f_1\) puis \(f_4\text{.}\)
carolinevernier.website/pretext_cpx_analysis/section-2.html#subsection-3
carolinevernier.website/pretext_cpx_analysis/section-2.html
carolinevernier.website/pretext_cpx_analysis/section-2.html#subsection-3
carolinevernier.website/pretext_cpx_analysis/section-2.html#subsection-3
On peut le montrer avec le critère de d'Alembert, un outil classique de la tradiconvergence

La démonstration de ce résultat nous entraînerait trop loin de \(-\frac1{12}\text{,}\) mais un indice nous est donné par le produit de Cauchy 14 :

\begin{equation*} f(a)f(b)=\left(\sum_{n=0}^{+\infty}\frac{a^n}{n!}\right)\left(\sum_{n=0}^{+\infty}\frac{b^n}{n!}\right) = \sum_{n=0}^{+\infty}\sum_{k=0}^{n}\frac{a^k}{k!}\frac{b^{n-k}}{(n-k)!} = \sum_{n=0}^{+\infty}\frac{(a+b)^n}{n!}=f(a+b) \end{equation*}

Or, \(\exp\) est la seule fonction continue telle que \(f(a+b)=f(a)f(b)\) et \(f(0)=1\text{.}\)

file:///P:/Universit%C3%A9/PreTeXt/pretext_series_divergentes/section-5.html
ou plutôt, la série entière
fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9rie_divergente
carolinevernier.website/pretext_series_divergentes/chap_decl-droit-somme.html-1
Qui est \(D_1\) dans ce cas ?