Skip to main content

Section 6.2 Séries entières et convergence à la Abel

Revenons à nos séries divergentes, et voyons ce qu'Abel peut nous proposer.

L'idée, qu'on a commencé à entrevoir dans la preuve de la Cesàro-convergence de la somme alternée des coefficients binomiaux, c'est de faire appel à un des outils les plus puissants dont dispose l'analyse: les fonctions et leurs limites. Mais correctement, cette fois.

Définition 6.2.1.

Soit \((a_n)_n\) une suite réelle telle que, quel que soit \(x\in ]-1,1[\text{,}\) la série \(\sum a_n x^n \) est absolument convergente  1 .

Dans ce cas, on peut définir une fonction \(f:\lbb -1,1 \rbb\rightarrow \R\) en posant

\begin{equation*} f(x)=\sum_{n=0}^\infty a_n x^n \end{equation*}

Si cette fonction a une limite \(s\) quand \(x\rightarrow 1\text{,}\) on dira que la suite de terme général \((a_n)_n\) \((\mathcal A)\)-converge (ou Abel-converge) et on notera

\begin{equation*} \sum_{k=0}^\infty a_k = s \quad [\mathcal A] \end{equation*}

Remarque 6.2.2.

Une note sur les limites de fonctions:

Ce que "f a une limite \(s\) quand \(x\rightarrow 1\)" veut dire, c'est que si on rapproche suffisamment \(x\) de 1, alors la distance entre \(f(x)\) et \(s\) devient minuscule, aussi petite qu'on veut.

Rendons ça un peu plus précis. On veut montrer que si on choisit n'importe quelle distance \(\varepsilon \gt 0\text{,}\) toute petite, on peut trouver une distance \(\delta \gt 0\) telle que, si la distance entre \(x\) et 1 est plus petite que \(\delta\text{,}\) alors la distance entre \(f(x)\) et \(s\) est plus petite que \(\varepsilon\text{.}\) Autrement dit: pour tout \(\varepsilon \gt 0\text{,}\) il existe \(\delta \gt 0\) tel que

\begin{equation*} |x-1| \lt \delta \Rightarrow |f(x)-s|\lt \varepsilon \end{equation*}

Voyons tout de suite quelques exemples:

Exercice 6.2.1. Premiers exemples d'Abel-convergence (ou divergence).

(a)

Pour \(u_n=\frac1{2^n}\text{,}\) quelle est la fonction \(f(x)\) qui correspond ?

Sur quel intervalle est-elle naturellement définie ?

En déduire que la série \(\sum \frac1{2^n}\) Abel-converge et calculer sa somme.

(c)

Et pour \(a_n=(-2)^n\) ?

(ça, c'est en fait plutôt une somme à la Euler)

Remarquons qu'on évite les contre-exemples de Callet: la fonction

\begin{equation*} f(x)=\frac{1+x}{1+x+x^2}=1-x^2+x^3-x^5+x^6-x^8+...=\sum_{p=0}^\infty a_p x^p \end{equation*}

correspond à la suite

\begin{equation*} a_p= \begin{cases} 1 \amp \text{ si } p=3k,\\ 0 \amp\text{ si } p=3k+1,\\ -1 \amp \text{ si } p=3k+2 \end{cases} \end{equation*}

comme Lagrange avait remarqué, et non à \(a_p=(-1)^p\) (sauf que maintenant, on comprend un peu mieux pourquoi c'est un argument). A chaque suite \((a_n)_n\text{,}\) on peut associer une unique fonction, et si une série Abel-converge, il n'y a pas d'ambigüité sur sa valeur.

Et cette unique valeur, jusqu'ici, coïncide avec la sommation à la Cesàro, en tout cas dans les exemples qu'on a croisés.

On va voir un peu plus bas que c'est toujours vrai. Mais d'abord, vérifions que la sommation d'Abel respecte la Déclaration des Droits de la Somme.

Exercice Abel-convergence et DDS

1. Linéarité 1.

Soit \(\sum a_n\) une série \((\mathcal A)\)-convergente, qui a pour \((\mathcal A)\)-somme \(s_a\text{,}\) et soit \(\lambda\) un réel.

Montrer que la série \(\sum\lambda a_n\) \((\mathcal A)\)-converge aussi, et que

\begin{equation*} \sum_{n=0}^\infty \lambda a_n = \lambda s_a\quad [\mathcal A] \end{equation*}

2. Linéarité 2.

Soient \(\sum a_n,\sum b_n\) deux séries \((\mathcal A)\)-convergente, de sommes respectives \(s_a\) et \(s_b\text{.}\)

Montrer que la série \(\sum(a_n+b_n)\) est aussi \((\mathcal A)\)-convergente, et que

\begin{equation*} \sum_{n=0}^\infty (a_n+b_n) = s_a+s_b\quad [\mathcal A] \end{equation*}

3. Stabilité.

Soit \(\sum a_n\) une série \((\mathcal A)\)-convergente, de somme \(s_a\text{.}\)

Montrer que

\begin{equation*} \sum_{n=1}^\infty a_n = s_a-a_0\quad [\mathcal A] \end{equation*}

Exercice 6.2.2. Régularité.

(a)

Supposons que la série \(\sum a_n\) tradi-converge vers un réel \(s\text{.}\)

Vérifier que dans ce cas, pour tout \(x\in \,]\,-1,1\,[\,\) la série \(\sum a_n x^n\) tradiconverge absolument.

(b)

Ce qui nous permet de définir la fonction

\begin{equation*} f: x\in \,]\,-1,1\,[\, \mapsto \sum_{n=0}^\infty a_n x^n \end{equation*}

Posons, pour tout entier \(n\text{,}\)

\begin{equation*} s_n=\sum_{k=0}^n a_k \end{equation*}

la \(n\)-ième somme partielle de la série \(\sum a_n\text{.}\)

Montrer que pour tout \(x\in \,]\,-1,1\,[\,\text{,}\) la série

\begin{equation*} \sum s_n x^n \end{equation*}

tradi-converge absolument.

(c)

Montrer que, pour tout \(x\in \,]\,-1,1\,[\,\text{,}\) on a

\begin{equation*} \frac{1}{1-x} f(x) = \sum_{n=0}^\infty s_n x^n \end{equation*}
Indice.

On pourrait écrire \(f(x)\) et \(\frac{1}{1-x}\) sous forme de sommes, puis faire appel au produit d'Augustin-Louis 2 .

Spoiler.

(d)

On note, pour tout \(n\in\N\text{,}\) \(r_n=s_n-s\text{.}\)

Montrer que, pour tout \(x\in \,]\,-1,1\,[\,\text{,}\)

\begin{equation*} f(x)-s = (1-x)\sum_{n=0}^\infty r_n x^n \end{equation*}

En déduire que, si on choisit un \(\varepsilon \gt 0\text{,}\) il existe une constante \(C \gt 0\) et un entier \(n_0\) tels que, pour tout \(n\geq n_0\text{,}\)

\begin{equation*} |f(x)-s| \leq C(1-x)+ \frac{\varepsilon}2 \end{equation*}

(e)

En déduire un réel \(\delta \in \,]\,0,1\,[\,\) tel que, si \(1-\delta \lt x\lt 1\text{,}\)

\begin{equation*} |f(x)-s| \lt \varepsilon \end{equation*}

et conclure avec assurance.

Autrement dit, la série \(\sum |a_n x^n|\) doit tradi-converger.
carolinevernier.website/pretext_series_divergentes/section-3.html#section-5